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Golfe Persique: méandres d’une crise périlleuse

Par Ulises Canales

Beyrouth (PL) Face à la virulence dont font preuve l’Arabie Saoudite, le Bahreïn et les Émirats Arabes Unis (EAU) pour reprocher au Qatar son soutien au terrorisme, on est en droit de se demander s’il a jamais existé une cohésion réelle entre ces divers pays, et quand et comment ils surmonteront cette crise.

De l’avis de plusieurs analystes, seul le désir de soumettre le Qatar de manière humiliante, de détrôner la famille royale au pouvoir et d’établir un ordre nouveau au Moyen Orient et en Afrique du Nord pourrait justifier l’agressivité des mesures exigées par Riyad.

Bien que la rupture des relations diplomatiques et le blocus de la frontière à Doha aient été annoncés par ces trois pays, ce n’est un secret pour personne que la décision a été prise sur l’initiative, ou du moins, avec le consentement du royaume saoudien étant donné son leadership politique et économique dans le Conseil de Coopération du Golfe (CCG).

À l’extérieur du Golfe Persique, ce leitmotiv du terrorisme a été interprété comme une excuse banale puisque le Qatar n’est ni le premier, ni le seul état de la région à armer, financer, appuyer et abriter des groupes islamistes dont l’idéologie et les méthodes sont compatibles avec la violence et l’extrémisme.

Rupture et blocus

Plus qu’une rupture, les mesures annoncées ont été un blocus en règle dans les domaines économique, alimentaire, éducatif, familial et même militaire car le Qatar a été expulsé de la coalition dirigée par les saoudiens contre les rebelles houthis d’Ansar Allah et leurs alliés au Yémen.

Les services diplomatiques saoudiens, en complet accord avec le Bahreïn et les Émirats Arabes Unis, ont annoncé de dures sanction contre le Qatar. Selon eux: « Le Qatar offre son soutien à de multiples groupes terroristes et sectaires cherchant à déstabiliser la région comme, par exemple, les Frères Musulmans (FM), l’Etat Islamique (EI ou DAESH) et Al-Qaeda ».

Les diplomates Qataris ont reçu un ultimatum de 48 heures pour quitter Riyad, Abu Dhabi et Manama. A l’inverse, les représentants du royaume saoudien, du Bahreïn et des Émirats Arabes unis ont reçu l’ordre de quitter Doha dans les mêmes délais.

Tout comme les Qataris disposaient de 14 jours à partir de la date du communiqué pour abandonner maisons, écoles, négoces et familles dans leur pays de résidence, de même , les Saoudiens, les Bahreïniens et les Imaratis ont été rappelés d’urgence dans leurs pays respectifs bien que le Qatar leur ait donné la permission de rester sur son territoire.

À la suite des plaintes du Qatar et d’organisations de défense des Droits de l’Homme, les pays concernés ont déclaré qu’ils reconsidèreraient les cas de Qataris mariés à /ou ayant une ascendance directe avec un de leur nationaux; bien entendu, cette mesure n’a pas pu empêcher de mettre à mal les examens de fin d’année des étudiants ou les carrières des universitaires résidant dans ces divers pays.

D’autre part, l’Arabie Saoudite, les EAU et le Bahreïn ont interdit leur espace aérien à la compagnie Qatar Airways, ont résilié ses contrats d’opération, fermé ses agences et annulé tous les vols à destination de Doha, causant ainsi un désordre sans précédent dans la navigation aérienne du Golfe.

Cet ensemble de mesures, que la chaîne de télévision Qataris Al-Jazeera a qualifiée de « surréalistes », comprend également la fermeture de tous les services postaux permettant d’envoyer à/ou de recevoir du courrier du Qatar. À quoi s’ajoute la publication d’une liste de 59 individus et 12 organismes catalogués comme « terroristes ».

Dans cette liste se trouvent Yusef Al-Qaradawi, chef de l’Union Internationale des Ulémas Musulmans, plusieurs journalistes et organisations philanthropiques telles que Eid Charity et Qatar Charity, cette dernière coopérant de manière substantielle avec l’ONU dans plusieurs projets en cours au Yémen, en Syrie et en Irak.

Pour James M. Dorsey, universitaire du Collège S. Rajaratnam d’Etudes Internationales, siégeant à Singapour, les leaders de ces trois pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU et le Bahreïn) ont mis leur crédibilité en jeu, non seulement par la rupture des liens diplomatiques avec le Qatar, mais également par la sévérité du boycott qu’ils lui ont imposé.

Le Qatar, dont l’unique frontière terrestre est avec l´Arabie Saoudite, importait par route jusqu’à 40 pour cent des presque mille millions de dollars annuels dépensés en nourriture, selon les chiffres officiels.

Les trois capitales à l’origine de cette situation ont émis des décrets destinés à contenir la prévisible opposition populaire à cette interdiction d’exporter des aliments au Qatar. Toute critique à ces mesures sera considérée comme un « délit », de même que que toute forme de sympathie « orale, écrite ou visuelle » envers un pays considéré jusqu’à il y a encore peu comme un pays « frère ».

Dans le cas des EAU, la simple expression de sympathie ou de louange envers le Qatar devenu maintenant pays ennemi est passible d’une peine de 15 années de prison et/ou d’une amende minimum de 136 000 dollars, alors que le Bahreïn s’est contenté d’une peine de 5 années de prison avec amende.

Pour comble de sévérité, Manama a décrété que les passeports des personnes  « se rendant au Qatar, y résidant, ou ayant transité par ce territoire », verront leur passeport révoqué.

D’après une information diffusée par la chaîne de télévision Bahreïni Lualua, le ministre de l’Intérieur, Rashid Bin Abdullah Al-Khalifa, a ajouté que « les personnes enfreignant ces interdictions n’auront plus le droit de demander un nouveau passeport », car le Qatar « déstabilise la région ».

Le prince jordanien Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, Haut Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme, a dénoncé cette restriction de la liberté d’expression et des libertés fondamentales. Il a sommé Riyad, Abu Dhabi et Manama de soumettre une déclaration conjointe à partir de Genève afin d’expliquer cette utilisation de « leurs droits souverains ».

Al-Hussein faisait ainsi référence au boycott commercial, à l’expulsion de Qataris, à la restriction du droit de mouvement des personnes et, surtout, aux menaces de peines de prison ou d’amende envers quiconque oserait sympathiser avec le Qatar.

Les gouvernements des pays incriminés ont expliqué qu’ils ne faisaient qu’utiliser leur droit à se « protéger des dangers de l’extrémisme et du terrorisme ».

Ils se sont aussi défendus en disant avoir mis en en place des lignes téléphoniques spéciales afin d’aider les « cas humanitaires » de qataris forcés de regagner leur pays, tentant ainsi de pallier la destruction des familles mixtes victimes des premières mesures d’expulsion massive.

Tentatives d’islamisation du conflit

Mais pendant que la crise attend la médiation éventuelle du Koweït et du Sultanat d’Oman, la violente opération commando de la Maison Al Saud a impliqué plus de dix pays dans la campagne anti-qatari, la plupart étant des nations islamiques désargentées d’Afrique Subsaharienne.

D’après l’analyse fournie à Prensa Latina par Dorsey, le premier geste du Royaume Saoudien pour agréger à sa cause d’autres pays à majorité musulmane a été de faire planer les menaces d’une réduction d’aide financière et d’une restriction du quota de fidèles pouvant se rendre à La Mecque pour le pèlerinage islamique annuel du Hajj.

Toutefois, ces pressions n’ont eu qu’un « succès partiel » car, si le Sénégal, l’Ile Maurice, les Comores et l’Érythrée ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, d’autres pays, comme le Tchad et le Niger, se sont bornés à rappeler leur ambassadeur à Doha, tandis que Djibouti et la Jordanie ont uniquement réduit leur activités diplomatiques.

Ces nations subsahariennes se sont unies à d’autres pays économiquement très dépendants ou ayant besoin de l’Arabie Saoudite, tels le Bahreïn, l’Égypte, le Yémen, les Maldives, la Mauritanie ainsi que le gouvernement installé dans l’est libyen, tous très liés aux saoudiens et aux émirats, pour couper leurs relations avec le Qatar.

Selon des sources régionales, d’autres pays musulmans comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, le Soudan et la Somalie ont rejeté l’offre saoudienne de rompre avec le Qatar et ont, à l’inverse, appelé au dialogue. Le Nigeria, pays comptant le plus de musulmans en Afrique Noire, est demeuré silencieux pendant cette crise.

Même le Pakistan, qui avait déjà refusé de participer à la coalition contre le Yémen, a refusé de se joindre au boycott du Qatar, et son premier ministre, Nawaz Sharif, a prôné une solution rapide du conflit lors d’une visite récente en Arabie Saoudite.

Certains observateurs pensent que ces efforts en Afrique visant à isoler le Qatar suggèrent que l’objectif du boycott diplomatique et économique n’a pas été atteint et que le Qatar ne s’est pas plié aux exigences de l’Arabie Saoudite.

Deux semaines après l’éclatement de la crise, le Qatar continue de nier les accusations portées à son encontre et fait la sourde oreille aux exigences de ses voisins pour qu’il cesse son soutien aux groupes terroristes et extrémistes, et freine ou arrête définitivement sa campagne médiatique hostile, en particulier sur les ondes d’Al-Jazeera.

Le 21 mai dernier, lors des sommets dans la capitale saoudienne entre le président des États-Unis et les représentants des six monarchies du Golfe Persique, ces derniers se sont vantés d’une cohésion qui, à la lumière de la situation actuelle semble franchement peu crédible.

Unité élusive ou fausse intégration

En fin de compte, cette affinité paradée devant l’opinion publique sous le slogan d’une « action conjointe du CCG » (Conseil de Coopération du Golfe) pour relever les défis de l’intégration, de l’interconnexion, du marché commun, de la lutte contre le terrorisme et d’un contrepoids à la menace supposée de l’Iran, cette affinité donc, s’est avérée n’être que de façade. Elle n’est ni monolithe, ni fraternelle, et laisse déjà apparaître de nombreuses failles.

Lors de ces rencontres au sommet ont été négligées des priorités historiques arabes telle la cause palestinienne, et la première place a été donnée à une rhétorique centrée sur la critique de la ré-élection du président Hassan Rouhani en Iran et sur le rapprochement de ce pays avec l’Irak (seul pays arabe à majorité chiite).

En outre, les discours de Trump et du roi Salman bin Abdulaziz d’Arabie Saoudite, ainsi que la déclaration finale du sommet arabo-islamique-étasunien, ont tous présenté sous un jour unanime la condamnation de Téhéran et la priorité accordée au combat contre le terrorisme, en particulier contre l’EI, alors que cette unanimité n’était pas vraiment totale.

Bien qu’aucun des alliés saoudiens n’envisage une option militaire contre Doha, les trois membres du CCG ont lancé la machine de guerre médiatique et ont entamé une campagne d’intimidation qui a commencé par l’interdiction des relations aériennes avec le Qatar.

Avant même la rupture, la chaîne Al-Ararabiya, proche de la Maison Royale Al-Saud, semblait déjà avoir reçu la consigne de contrecarrer la campagne hostile attribuée à Al-Jazeera, une chaîne de télévision voisine qui, en raison de ses reportages sur des thèmes régionaux, n’est plus la référence incontournable qu’elle a été dans le passé.

La chaîne saoudienne s’est déchainée contre la famille Al-Thani avec des commentaires, des témoignages et des révélations de divers complots ou actes de déloyauté envers ses alliés régionaux, allant même jusqu’à l’accuser de projets magnicides.

À titre d’exemple, elle a rapporté que, durant le récent sommet de Riyad, la délégation qatari dirigée par l’émir, sheik Tamin bon Hamad Al-Thani, s’est retiré avant même que ne se termine la cérémonie d’ouverture et ceci sans donner aucune explication.

Quelques jours plus tard, la page web de l’agence officielle QNA a publié un discours attribué à cet émir dans lequel il critiquait le royaume saoudien, ce que Doha a dénonçé comme un acte de piratage informatique, mais ce reproche de cyber-attaque fut balayé d’un revers de la main par les saoudiens qui ont répondu avec une agressivité inhabituelle.

Le Qatar a considéré que cette rupture des relations diplomatiques était injustifiée et a démentit que le Al-Thani ait même pu mentionner une quelconque tension entre le Qatar et l’administration Trump, tout en reconnaissant dans le mouvement islamiste Hamas « le représentant légitime du peuple palestinien » et en considérant que l’Iran était « une grande puissance de stabilisation dans la région ».

Cependant, la déclaration du ministre saoudien des Affaires Étrangères, Adel Al-Jubeir, demandant de faire paraître rapidement une liste des griefs impliquant le Qatar, confirme que la jalousie, les suspicions, les disputes et les attaques remontent à très loin.

« Je n’appellerais pas nos demandes des « exigences ». Je dirais plutôt qu’il s’agit de « griefs » qui requièrent de l’attention et que les qataris doivent corriger », a déclaré le chancelier en rappelant que ces griefs concernent le soutien de Doha à l’extrémisme et au terrorisme, sans toutefois entrer dans le détail de ces doléances.

Pour l’avocat international Saad Djebbar, les commentaires d’Al-Jubeir révèlent les ambitions des quatre pays (les trois pays du CCG plus l’Égypte) conduisant l’opération de blocus contre le Qatar.

« Cet embargo éclipse celui appliqué à la Libye de (Muammar) Gaddafi après l’attentat contre l’avion de la PanAm, car, dans ce cas, seuls étaient affectés les vols, pas les navires, ni les frontières maritimes ou terrestres », a répliqué Djebbar pour qui les pays pratiquant le blocus ont « seulement voulu se lancer dans une aventure contre le Qatar ».

Vieux désaccords et complots

Pour les observateurs sérieux du Moyen-Orient, la campagne des EAU et de l’Arabie Saoudite pour que le Qatar arrête de soutenir les islamistes et les terroristes ressemble davantage à « une lutte pour établir un nouvel ordre régional ». A vrai dire, c’est surtout le résultat de « disputes de palais » ancestrales.

L’opinion de l’Arabie Saoudite est qu’elle a fait preuve de « patience face aux diverses intrigues fomentées par le Qatar depuis plus de 20 ans », y compris un supposé accord entre le sheik Hamas bin Khalifa Al-Thani, père de l’actuel émir, avec le dirigeant libyen Gaddafi pour, apparemment, assassiner le roi Abdulaziz.

Citant le conseiller de la Cour Royale Saoudite, Saud Al-Qahtani, Al-Arabiya a affirmé que ce plan hypothétique vit le jour en 2003, pendant le sommet de la Ligue Arabe dans la cité égyptienne de Sharm El-Sheikh, le jour où Gaddafi se lança dans une sévère querelle verbale contre le monarque saoudien de l’époque, le roi Fahd.

Durant le dit sommet arabe, Abdulah, qui était alors le prince héritier, répondit vigoureusement au discours de Gaddafi en lui rappelant vertement le rôle joué par l’Occident pour qu’il soit nommé à la tête de l’état libyen.

La réplique sanglante d’Abdulah à Gaddafi est resté célèbre dans le monde arabe: « Et toi, qui, exactement, t’a porté au pouvoir? ». À la suite de quoi, se souvient Al-Qahtani, le dirigeant libyen, fou de rage, entra en contact avec les dissidents saoudiens, en particulier ceux résidant à Londres.

Toujours selon la version du conseiller royal, le dirigeant libyen demanda l’aide de l’émir qatari « pour exercer des représailles » contre le prince saoudien, et Al-Thani exprima sa volonté de le faire en donnant son accord pour une réunion à Doha des services secrets des deux pays.

Comme les opposants saoudiens à la famille royale refusaient l’offre de Gaddafi, celui-ci eut recours à l’émir du Qatar pour travailler ensemble et « se venger » en utilisant les liens étroits des Qataris avec les exilés de Londres.

Al-Arabiya rapporta aussi l’appui du Qatar aux opposants du Bahreïn qui dénonçaient la répression exercée par la dynastie El-Khalifa en 2011 et l’accuse également d’envenimer les tensions territoriales entre Djibouti et l’Érythrée après que Doha ait rappelé ses casques bleus en mission sur la frontière de ces deux pays africains.

Dans un éditorial récent, la chaîne saoudienne a aussi accusé les qataris de « coopérer » avec des organisations radicales comme les Frères Musulmans (FM) et « d’essayer de déstabiliser les pays du CCG ».

La même chaîne rappelle que la Déclaration de Riyad, en 2013, accorda au Qatar une chance d’appliquer diverses demandes dans un délai de 90 jours, mais que le Qatar refusa d’obtempérer. En février 2014, au Koweït, une seconde opportunité lui fut offerte afin que cessent ses « conspirations » contre les états voisins.

Cette dernière rencontre eut lieu en présence des émirs du Koweït et du Qatar accompagnés de leur ministre des Affaires Étrangères, mais comme Doha fit à nouveau la sourde oreille et ne changea pas d’attitude, le CCG convoqua une autre réunion à Riyad en mars 2014.

Ce fut alors que la crise, précédent directement celle qui a éclaté de nos jours, contraignit les EAU, l’Arabie Saoudite et le Bahreïn à rappeler ses ambassadeurs à Doha, à qui ils reprochaient son soutien aux FM égyptiens. Et même après une autre tentative de réconciliation en 2015, « les pratiques abusives de Doha n’ont jamais cessées », affirme la chaîne.

Dans le feu de la crise, apparaissent des épisodes compromettants pour le Qatar qui, malgré les motivations évidentes de ses anciens alliés, illustrent les connexions de l´émirat avec des éléments et des organisations extrémistes et terroristes, dont de nombreuses tentent en ce moment même de renverser Bashar Al-Assad en Syrie.

Dans son livre « Les chemins du mal: des bastions d’Al-Qaeda au cœur de l’EI », l’ancien reporter d’Al-Jazeera, Yosemite Fouda raconte comment le père de l’actuel émir qatari paya -dit-on- un million de dollars pour récupérer les vidéos montrant ses entretiens avec les membres du réseau fondé par Osama bin Laden.

Selon Fouda, il rencontra secrètement des membres d’Al-Qaeda en 2002 et il attendait que cette organisation lui envoie instamment les enregistrements, d’autant plus qu’il avait eu un rendez-vous avec ce même Al-Thani dans un restaurant de Londres, en 2002, afin de traiter l’affaire de la manière la plus urgente.

Un autre livre, intitulé « À l’intérieur d’Al-Qaeda », écrit par Rohan Gunaratna, suggère des liens possibles entre Doha et Ben Laden quand il affirme de manière sûre qu’ « un membre de la famille royale du Qatar soutenait l’organisation Al-Qaeda ».

Répondant aux critiques allant dans ce sens, un assesseur en thèmes antiterroristes du chancelier qatari, sheik Mohammed bin Abdulrahman Al-Thani, a révélé ce mois-ci, qu’en 2013, l’émirat avait permis l’ouverture d’une agence du groupe afghan Taliban à Doha « pour répondre à un souhait des États-Unis ».

Mutlaq Al-Qahtani a rejeté les critiques de Trump et des gouvernements saoudien, bahreinien et emirati; il nie aussi tout appui aux groupes extrémistes islamistes et soutient que le Qatar a également accueilli le groupe Taliban en vertu de sa politique de « portes ouvertes dont le but est de faciliter les échanges et d’intervenir en faveur de la paix ».

D’après le conseiller du ministre Al-Thani, toutes ces pressions diplomatiques et autres mesures punitives font partie d’ « un plan destiné à soumettre le Qatar à l’hégémonie de l’Arabie Saoudite au Moyen Orient ».

« Je pense qu’il ne s’agit pas d’antiterrorisme, ni de soutien financier à la terreur … mais d’une campagne orchestrée contre mon pays pour le forcer à changer sa politique extérieure jugée trop active et indépendante », a dénoncé Al-Qahtani.

Et en effet, il est indéniable que le Qatar, même s’il a appliqué les résolutions du CCG contre l’Iran, s’est aussi distingué depuis des années par une politique étrangère de bon voisinage envers Téhéran ainsi que par une certaine indépendance vis-à-vis de ses alliés.

À quoi il faut ajouter que ces deux pays partagent le gisement de gaz naturel de Pars Sud- Coupole Nord, le plus important du monde avec ses 9700 kilomètres carrés (3700 pour l’Iran et 6000 pour le Qatar).

L’autonomie qatari est telle que ce pays a porté son soutien à la confrérie fondée il y a plus de 90 ans en Égypte, et qui fut déclarée illégale et terroriste une fois qu’Abdel Fattah Al-Sissi eut renversé l’unique gouvernement démocratiquement élu de ce pays nord-africain: celui de l’islamiste Mohamed Morsi.

De même qu’il admet l’existence d’un groupe taliban à Doha, le chancelier qatari a également souligné que la présence du mouvement de résistance islamique Hamas « est en accord avec les souhaits des Etats-Unis et des pays de la région. Elle fait partie de nos efforts pour servir de médiateurs entre les diverses factions palestiniennes et promouvoir leur réconciliation ».

Au cours des dernières années, la capitale qatarie est devenue le lieu de résidence de Khaled Meshaal, dirigeant historique du Hamas, un groupe que beaucoup perçoivent comme le pendant palestinien des FM et qui est le rival du Fatah, mouvement du président Mahmoud Abbas, beaucoup plus proche de Riyad et d’Abu Dhabi.

Pour de nombreux arabes, Meshaal et le Hamas sont des traitres parce qu’ils ont choisi Doha pour installer le siège de leur mouvement après avoir quitté Damas qui leur avait précédemment prêté refuge mais qu’ils ont été obligés de quitter lorsque la Syrie, qui a toujours montré son hospitalité envers les palestiniens, est devenue la victime des pires sévices terroristes de la part de groupes financés par le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie, d’après ce que dit Al-Assad.

Sans céder totalement à ces pressions, peu de jours après la rupture des relations diplomatiques, un groupe de dirigeants du Hamas a abandonné le Qatar sur demande de l’émir, ce qui a été interprété par certains comme une conséquence de la crise.

Les rencontres musclées entre le Qatar et ses voisins ont également eu pour conséquence que, de 2002 à 2008, l’ambassade saoudienne a Doha n’a fonctionné qu’au niveau des chargés de commerce en signe de protestation contre la couverture proposée par Al-Jazeera de l’Initiative Arabe pour la Paix, initiative impulsée par Riyad et qui admet la possibilité d’une reconnaissance de l’État d’Israël.

Le nouvel ordre régional hypothétique sera présidé par l’Arabie Saoudite, le but de cette réorganisation étant de réduire au silence tout défi à la « forme religieuse déguisée en monarchie autocratique » que prêche Riad.

L’antiterrorisme cache des luttes pour le pouvoir

L’analyse de la dispute actuelle, a expliqué le politologue James M. Dorsey à Prensa Latina, touche à des thèmes que le monde traite de gérer depuis des années: que signifient exactement les mots terrorisme et terroriste? quelles sont les limites de la souveraineté des états? de leur droit à décider de manière indépendante de leurs actes et de leur politique?

Et, ajoute ce chercheur, il s’agit là d’un conflit qui existe depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale mais dont le cours s’est accéléré depuis les révoltes populaires de 2011 dans le monde arabe.

« L’Arabie Saoudite et les EAU considèrent que les Frères Musulmans et le Hamas sont des terroristes, à l’inverse du Qatar. Pour Riad, l’Iran est une menace aussi dangereuse que DAESH », a rappelé Dorsey.

« De toutes façons, les saoudiens et les qataris ont tous deux financé les musulmans ultra-conservateurs et leurs groupes militants », a-t-il ajouté, avant de souligner que cette approche divergente inclut maintenant l’Irak depuis la rançon de mille millions de dollars versée à ce pays pour la libération de 26 chasseurs de faucons pris en otage et dont certains étaient membres de la famille royale.

À vrai dire, certaines sources soulignent que ce fait divers, survenu en avril de cette année, fut certainement le déclencheur de l’impasse actuelle, car, pour obtenir la libération des fauconniers qataris, il fallut livrer de manière fort gênante la considérable somme qui était destinée à des fins, on l’imagine, totalement indésirables pour Riyad.

Le mode de transfert et de remise de ces mille millions de dollars fit l’objet d’une série d’accusations et de contre-accusations entre Bagdad et Doha et l’on affirme que, finalement, la somme est arrivée entre les mains de Al-Hash Al-Shaabi, organisation militante populaire des milices chiites, alliée du gouvernement irakien et entraînée par l’Iran afin de combattre Daesh.

De même, plusieurs observateurs en poste à Beyrouth s’accordent pour dire que l’Arabie Saoudite et les EAU ont organisé une campagne pour inverser les acquis obtenus par les révoltes de 2011, ceci lorsque le pouvoir commençait à leur échapper et que les autorités se virent obligées de s’auto-ériger en chantres de l’anti-extrémisme.

Cependant, ces mêmes observateurs expliquent que cette campagne fut à l’origine d’une ligne « ultra-conservatiste, sunnite et suprématiste » qui défend des formes de gouvernement absolutistes et non-démocratiques et qui, de plus, menace de pérenniser des ambiances favorables à l’apparition du radicalisme.

Car, si Riyad et Abu Dhabi ont une vision différente du sunnisme ultra-conservateur, tous deux s’entendent sur la définition de l’Islam politique (c’est à dire de l’Iran, du Hamas et du Hezbollah libanais) qu’ils considèrent comme une idéologie terroriste car il prêche une forme de gouvernement et une vision du monde alternatives.

Raison pour laquelle, le résultat de cette crise, malgré toutes ces différences, affecte le monde musulman dans son entier; ce qui explique qu’une éventuelle victoire de l’Arabie Saoudite, si elle parvenait à terrasser le Qatar, aurait des conséquences bien au-delà du Moyen-Orient.

« Le royaume saoudien pourrait alors consolider son soutien à la ligne ultra-conservatrice et augmenter ses efforts pour imposer de manière globale ses valeurs antidémocratiques tout en ridiculisant les droits humanitaires fondamentaux », nous a expliqué Dorsey.

Sans oublier, dit-il, le gain qu’il pourrait tirer de « l’exploitation morale émanant de sa condition de Gardien des deux principales villes saintes de l’Islam: La Mecque et Médine » qui représentent une force quasiment indiscutable dans le monde musulman.

Il existe toutefois une « ironie » dans cette croisade de l’Arabie Saoudite contre le Qatar, c’est que « ces monarchies autocratiques qui s’affrontent sont toutes deux adeptes du wahhabisme », la cosmovision ultra-conservatiste sunnite régissant la famille Al-Saud.

En fin de compte, Doha, comme Riyad sont soumis à la volonté d’un monarque absolu qui contrôle d’une main de fer la politique, la liberté de parole et la liberté de la presse, c’est-à-dire d’un gouvernant peu susceptible de défendre une plus grande ouverture et un plus grand pluralisme », pense notre analyste.

Malgré tout cela, ces deux pays sont un miroir l’un pour l’autre, et dans plus d’un seul sens. Ils considèrent, en effet, que les divers aspects de l’Islam sont cruciaux pour leur sécurité et la survie de leur régime.

Le Qatar voit en l’Islam politique, une idéologie renforcée à la suite de ce qui a été nommé « Le Printemps Arabe »; pour lui, il est l’avenir d’une « région en transition », même s’il est pour le moment en proie à une violence brutale, à des guerres civiles, à d’épuisants conflits géo-politiques et à une contre-révolution déclenchée par les saoudiens, pense Dorsey.

Au vu du précédent que constituent les tensions de mars 2014, la rupture actuelle fait craindre un démembrement du CCG ou, tout au moins, une ré-structuration qui oblige ce Conseil à sacrifier son existence et à la remplacer par des alliances inter-régionales.

« Il se pourrait que le CCG vole en éclats », prédit notre interlocuteur, car le Qatar représente « un défi à l’orthodoxie, à l’absolutisme et aux intérêts des monarchies du Golfe ». On ne peut donc pas exclure une opération éventuelle qui encouragerait un changement à la tête de cette si gênante famille royale Al-Thani.

D’ores et déjà, les ramifications de cette rivalité sont perceptibles et les timides tentatives de médiation de l’émir du Koweït, cheikh Sabah Al-Jaber Al-Sabah, auront du mal à obtenir un rapprochement, car, tant pour le Koweït que pour l’Arabie Saoudite, obtenir la soumission de Doha ou, simplement, le contenir « est une question de survie ».

Les observateurs de la région n’écartent pas non plus la possibilité de tensions militaires si, confronté à un encerclement, le Qatar se rapproche de l’Iran qui lui fournit quotidiennement plus de mille cent tonnes de nourriture depuis le début de l’embargo, et si, se rapprochant, il augmente l’irritation de ses ex-associés.

Cependant, la présence au Qatar de la plus grande base aérienne des États-Unis au Moyen-Orient, avec plus de 10 000 soldats et le siège du Commandement Central nord-américain – pièce maîtresse dans la stratégie de Washington contre DAESH en Syrie et en Irak- rendent improbable un alignement inconsidéré sur les positions de l’Iran.

Pour finir, la récente vente des États-Unis au Qatar d’avions de combat F15, pour un montant de 12 millions de dollars, montre, à l’évidence, que les divergences ne sont nullement un obstacle pour maintenir des relations amicales avec la Maison Blanche, malgré les déclarations ambiguës du président Trump lorsqu’il a pris le partie de Riyad.

Répercutions et expectatives

Les experts constatent que le premier résultat de la crise est le fractionnement de l’axe anti-iranien en deux « blocs » rivaux ce qui est, par conséquent, un revers pour le royaume saoudien qui recherche infatigablement l’union de toutes les volontés contre la république islamique perse.

Certains experts, comme le journaliste Qasem Ezzedine, soutiennent que les répercussions ne se limitent pas seulement au Qatar et à la Turquie, ce dernier pays ayant envoyé peu de jours après la rupture jusqu’à trois mille soldats à sa base du Qatar. Ces journalistes n’excluent pas que le boycott soit « un premier pas pouvant mener finalement à une déclaration de guerre ».

Dorsey, quant à lui, considère « ironique » le fait que les présumées machinations émiraties pour étouffer toute expression d’un Islam politique aient pu créer à Ankara un obstacle potentiellement plus sérieux et qui pourrait freiner les plans de Riyad et d’Abu Dhabi pour imposer leur volonté sur Doha.

Ankara, qui a déclaré que l’envoi de ses effectifs « n’était pas nécessairement un geste anti-saoudien, mais plutôt un geste pro-qatari », a insinué que les EAU avaient financé le coup d’état avorté contre le président Recep Tayyip Erdogan.

Erdogan a dénoncé l’isolement du Qatar comme un acte « inhumain et contraire aux valeurs islamiques », ajoutant que les méthodes utilisées par les les trois pays du CCG étaient « inacceptables et s’apparentaient à une condamnation à mort ».

Le quotidien Sabah, proche du parti Justice et Développement au pouvoir en Turquie, et le chancelier Mevlut Cavusoglu ont cité des sources qui accusent les EAU d’avoir investi trois millions de dollars dans l’insurrection ratée de l’année dernière.

Une conséquence de cette crise et que la cause palestinienne va être victime, une fois encore, des intérêts divergents des autres pays Arabes car l’abîme entre le Qatar, d’un côté, et l’Arabie Saoudite et les EAU, de l’autre, se traduira inévitablement par un éloignement ou, au mieux, une position figée entre le Hamas et Al-Fatah, le parti du président Abbas.

En ce qui concerne la Syrie, de nombreux observateurs pensent que la crise diplomatique a mis les opposants à Assad, y compris les groupes terroristes encouragés par des pouvoirs régionaux et internationaux, dans une position pour le moins « difficile et vulnérable ».

Pendant les protestations de 2011, les gouvernements saoudien et qatari appuyèrent les opposants à Bashar El Hassad, de même qu’ils soutinrent les combattants quand la guerre commença et qu’ils soutiennent toujours ceux qui luttent contre Damas et qui sont, en grande majorité, des musulmans de confession sunnite.

« La rupture actuelle place les opposants syriens dans une position politique très difficile puisque personne ne désire avoir à prendre partie publiquement et ne peut pas, non plus, se permettre de s’aliéner l’un de deux partis », comme le constate Yezid Sayigh, le spécialiste pour le Moyen Orient du Centre Carnegie.

Entre temps, les manœuvres diplomatique continuent, tant de la part du chancelier turc, qui s’est déplacé à La Mecque pour un entretien avec le roi Salman, que de l’émir du Koweït et y compris du secrétaire d’État nord-américain, Rex Tillerson.

Cavusoglu, le ministre des Affaires Étrangères turc, a trouvé la rencontre avec le monarque positive. Il pense que  » même si le royaume fait partie de cette crise, le roi fait partie de la solution ».

Tillerson, à son tour, s’est exprimé de manière moins partisane que Trump; il est allé jusqu’à annuler une visite au Mexique pour une réunion de l’OEA afin de travailler à une solution du contentieux.

Al-Jazeera rapporte que certains commentateurs ont interprété les actions du chef de la diplomatie étasunienne comme un signal clair que la situation au Moyen Orient est une priorité et que, dans les semaines qui suivent, nous assisterons à des efforts de médiation pour tenter de résoudre le conflit.

En dépit de la rhétorique belligérante contre Doha, nombreux sont ceux qui croient que Riyad n’a pas l’intention de pousser à l’escalade de la crise au-delà d’une limite raisonnable, bien que la crispation soit aussi évidente qu’imprévisible.

Le ministre qatari des Affaires Étrangères a été catégorique:  » le pays est soumis à un embargo, et il n’y aura aucune négociation  » pour retisser les liens coupés le 5 juin « jusqu’à ce que cesse le blocus diplomatique et économique ».

« Ils doivent lever le blocus s’ils veulent commencer les négociations. Et jusqu’à maintenant, nous n’avons remarqué aucun progrès dans ce sens bien que ce soit la condition préliminaire à toute évolution positive de la situation », a indiqué Al-Thani.

Il a ajouté que, 14 jours après l’éclatement du contentieux, les autorités de Doha n’ont toujours pas reçu de demandes de la part de leurs équivalents saoudien, emiratis et bahreini, mais, a-t-il insisté, les affaires intérieures du Qatar « ne sont pas négociables, y compris l’avenir d’Al-Jazeera ».

De son côté, le ministre d’État émirati  des Affaires Étrangères, Anwar Gargash, a affirmé que les mesures pour isoler le Qatar de ses voisins « pourraient durer des années ». « Nous comptons sur le temps, nous ne cherchons pas l’escalade, nous voulons seulement isoler le Qatar », a-t-il déclaré depuis Paris.

Toujours selon le même responsable émirati,  » Doha se fige dans l’obstination et le déni », déclaration qui a été reprise par le chancelier saoudien, Adel Al-Jubeir, en précisant que « dans peu de temps une liste des délits commis par le Qatar sera publiée » et d’autres propositions seront avancées.

Gargash a rappelé qu’il avait été suggéré de « mettre en place un système de surveillance occidental pour surveiller les activités du Qatar et s’assurer que son comportement envers le terrorisme avait bien changé ».

Il a également signalé que la Turquie « continue son effort pour rester neutre dans la crise » du Golfe, mais il espère qu’Ankara « maintiendra une attitude raisonnable et finira par reconnaître qu’il est dans son intérêt de soutenir l’action contre Doha ».

Pour le moment, le panorama reste inchangé : le Qatar demeure isolé, les anciens alliés sont devenus des ennemis, l’Iran est dans l’expectative, et les États-Unis et Israël engrangent les bénéfices de la pire crise politique que le monde arabe ait connu en presque quatre décennies.

FIN

* Ulises Canales , correspondant de Prensa Latina au Liban.

peo/arb/Ucl

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