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Paul Estrade, un français devenu Martien et Cubaniste

Par Luisa Maria González*

Paris, 3 avril (Prensa Latina) Les premières œuvres complètes de José Martì éditées pendant la Révolution arrivèrent en France en 1966 et le jeune hispaniste Paul Estrade, poussé par la curiosité, décida de les acheter; c’est ainsi qu’entra dans sa vie le plus universel de tous les cubains, et il ne le quitta plus.

À travers Martì, la relation d’Estrade avec Cuba s’étendit de l’action à la recherche et sa passion pour l’histoire l’amena à se lancer dans un long et intense travail d’investigation qui dure jusqu’à nos jours.

DOCTORAT SUR MARTÌ

« En 1966, j’étais secrétaire général de France-Cuba et nous reçûmes les 28 volumes des œuvres complètes de Martì, éditées par les Éditions Nationales, aux frais d’Alejo Carpentier. On nous en envoya deux collections. La première fut destinée à la petite bibliothèque de notre association, et je fis l’acquisition de la seconde », raconte-t-il à Prensa Latina.

Quelques années auparavant, Estrade avait déjà visité l’île et la figure du Héros National avait retenu son attention car il apparaissait toujours dans les déclarations révolutionnaires.

« J’étais curieux  et, comme j’avais la fibre historienne, ce qui m’a toujours plu, je me dis: il faut que je remonte jusqu’aux origines de cette Révolution », nous explique celui qui, à l’époque, était professeur du secondaire, en parlant du moment où il décida de choisir Martì comme sujet de thèse de doctorat, alors que ce dernier était alors pratiquement inconnu en Europe.

Désirant en même temps s’ouvrir une voie vers la carrière universitaire, le « martien » novice se chercha un maître de thèse et parvint ainsi jusqu’à  Noel Salomon, intellectuel réputé de la ville de Bordeaux, extrêmement respecté pour son passé de résistant, de dirigeant communiste et reconnu comme étant l’un des meilleurs spécialistes sur Cuba.

« Noel accepta de diriger ma thèse ainsi que celle de Jean Lamore. Il nous conseilla de travailler sur Martì de manière indépendante, de lire d’abord toute son œuvre, d’en faire des fiches, de nous imprégner de tout ce qui était Cubain, et,  finalement, de lire  la critique. Il insista pour que nous approfondissions chacun des aspects multiples de l’œuvre de Martì », se rappelle-t-il.

Cette première étape dura cinq années et s’acheva par une réunion pendant laquelle les doctorants échangèrent leurs point de vue sur le héros cubain et présentèrent les lignes directrices de leur recherche.

« Je ne rencontrai aucun problème car je me concentrai immédiatement sur le Martì penseur et acteur dans la construction de la nouvelle démocratie sous tous les aspects: économique, social, politique et culturel; et pendant ce temps, Jean centrait ses recherches sur le Martì  qui avait voyagé au Mexique, au Vénézuela, au Guatémala, c’est-à-dire dans les pays de Notre Amérique anti-impérialiste », explique-t-il.

Estrade commença à donner des cours à l’université tout en approfondissant ses recherches et en faisant plusieurs séjours d’étude à Cuba et en Espagne pour son doctorat, y compris une année de résidence à Madrid pour travailler dans les Archives Historiques Nationales.

Mais un événement important allait changer le cours de sa carrière: le décès inattendu de son tuteur, Noel Salomon, qui laissa orphelins, pour ainsi dire, une dizaine d’étudiants.

Confronté à cette nouvelle situation, le groupe chercha de l’aide auprès de Robert Jab, professeur de littérature espagnole, fondateur de France-Cuba et président de l’association dans la ville de Touluse, au sud de la France. Ensemble, ils créèrent le Centre Interuniversitaire d’Études Cubaines (CIEC).

« De 1978 à 1984, nous organisâmes, avec le CIEC,  plusieurs colloques dans diverses universités: Toulouse, Poitiers, Pointe-à-Pitre, Paris…. Ces rencontres avaient pour but, entre autres, de combler le vide laissé par Salomon. Ainsi commença la diversification, car, à l’époque, chacune de ces universités avait son propre cubaniste « en herbe », en quelque sorte », nous explique-t-il.

En 1984, Estrade soutint sa thèse. Il en résulta un livre capital:  » José Martì et les fondements de la démocratie en Amérique Latine », première étape d’un long travail dédié à l’histoire de Cuba.

GROUPE UNIVERSITAIRE  DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS VII

De nos jours, Paul Estrade est professeur émérite de l’Université de Paris VII, dans la commune de Saint-Denis, au nord de la capitale. Il y est chargé de cours et poursuit toujours ses recherches en tant que spécialiste de l’Amérique Latine.

« En 1984, je créai le Groupe d’Histoire des Antilles Hispaniques qui dura une vingtaine d’années, au-delà même de ma retraite. En fait, il se poursuit toujours sous le nom de « Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur les Antilles Hispaniques et l’Amérique Latine », dirigé par une de mes élèves, Sylvie Bouffartigue, de l’Université de Versailles ».

Selon ses propres mots, ce groupe est  » mon apport majeur aux études sur Cuba »,  car les innombrables thèses et doctorats qu’il a produits ont permis d’approfondir divers pans de l’histoire.

« Nous fîmes énormément de projets. Sylvie, par exemple, étudia l’influence des guerres d’indépendance  sur la littérature cubaine; Sandra Fernandez fit un travail comparatif entre les diverses production de la poésie des Antilles, en langue espagnole, française et anglaise; Dominique Souci travailla sur la franc-maçonnerie cubaine… », se souvient-il.

CUBA, PORTORICO ET L’AMÉRIQUE LATINE

En parallèle avec ses travaux de direction de maîtrises et de doctorats, Estrade poursuit ses recherches sur Cuba car l’Académie des Sciences de Cuba l’a inclus parmi ses historiens.

Au total, ce sont plus de 50 travaux de recherche qui ont été traités, sur des thématiques diverses, comme le laïcisme à Cuba et la séparation de l’Eglise et de l’Etat instaurée par la Constitution de 1901; ou le comité des étudiants antimachadistes de Paris, formé par les exilés qui durent quitter l’île  et qui continuèrent à lutter contre la dictature de Gerardo Machado.

Parmi ses travaux les plus connus, celui pour sauvegarder la mémoire  de Severino de Heredia, un métis Cubain que son parrain amena avec lui en France et qui parvint à être maire de Paris, député et ministre de la République mérite une place spéciale.

« Severino de Heredia, le métis que Paris élut pour maire et la République pour Ministre », tel est le titre de l’ouvrage consacré à ce politicien, dont l’une des rues de la capitale, dans le XVIIème arrondissement, porte aujourd’hui le nom.

Estrade raconte aussi que sa relation avec Martì l’a amené à côtoyer de plus près des penseurs latino-américains comme l’Argentin Domingo Faustino Sarmiento, le mexicain Justo Sierra et le portoricain Ramón Betances à qui il a consacré des longues années  d’étude.

« Puerto Rico n’a pas de Martì, elle a besoin d’un guide, d’un modèle. Il y eut Betances, bien sûr, mais on l’a étouffé, ignoré. C’est pour cette raison que Felix Ojeda Reyes, le portoricain, Emilio Godìnez Sosa, le cubain, et moi-même joignîmes nos efforts pour sauver son œuvre de l’oubli et lui donner sa juste place », nous explique-t-il.

Et après plusieurs décades de dur labeur, le groupe est prêt à publier les œuvres complètes  de Betances en 15 volumes, en hommage à l’instigateur de l’insurrection armée connue dans l’histoire sous le nom de « Cri de Lares » et considéré comme le père du mouvement de libération portoricain.

En ce qui concerne l’ « Amérique Latine », ce professeur émérite à fait des nombreuses recherches pour découvrir l’origine de cette expression qui décrit notre sous-continent.

Et précisément, on en retrouve la premiere trace  à Paris, dans les cercles d’émigrés qui s’y établirent au XIXème siècle, et principalement dans les écrits du chilien Santiago Bilbao et du colombien José Marìa Caicedo.

Comme l’explique Estrade, « c’est un concept éminemment politique, non parce que les gens y parlent une langue latine, ni parce que la « race » prédominante est « latine » car on y trouve des noirs, des indiens, de tout. C’est un concept qui trouve son fondement sur l’idée qu’il existe deux Amériques, par l’histoire et par la culture. Voilà la thèse principale de Martì et de Betances ».

« Ainsi naît ce concept, à Paris, où les émigrés affirmèrent que face à l’Amérique Anglo-Saxone, devait se dresser une autre Amérique: l’Amérique Latine ».

peo/arb/lmg

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