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Les extrêmes du paradis Europe

Par Mario Muñoz Lozano*

La Havane, 17 octobre (Prensa Latina) La différence de pouvoir d’achat entre la population habitant  dans la puissante métropole ouest de Londres et la région en crise d’Estremadure, en Espagne, a augmenté de 41 pour cent dans les dix dernières années.

Selon une étude de l’Office Européen de la Statistique (Eurostat) rendue publique le 7 octobre dernier, l’écart entre le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant en 2017 entre cette première région, décrite comme la plus riche d’Europe, et la seconde, considérée comme la plus pauvre d’Espagne, était de 168 mille 700 euros.

Ces chiffres, publiés par Eurostat dans son dernier bulletin annuel régional, montrent comment la crise économique, avec ses plaies encore ouvertes, a renforcé les inégalités territoriales à l’intérieur du bloc communautaire.

Une autre étude d’Eurostat, plus récente, souligne que dans les 28 pays composant la Communauté Européenne, 113 millions de personnes vivent dans des foyers au bord de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

En d’autres termes, 22 pour cent de la population de l’UE vit avec un revenu de 60 pour cent inférieur au revenu médian, et se trouve donc dans l’impossibilité de faire face à des frais imprévus, ne peut pas se permettre une semaine de vacances et n’a certainement pas eu suffisamment de travail.

Il est vrai que le bloc communautaire a déjà survécu à de graves crises pendant ces dernière années; il a résisté à la récession de 2008, à la vague de réfugiés de 2015 et il semble même qu’il pourra essuyer avec succès la forte tempête que va produire le départ de l’un de ses membres les plus solvables: le Royaume-Uni.

Les piliers du projet européen ont soutenu le choc de tous ces grands impacts. Cependant, ils risquent maintenant de se fissurer devant les assauts d’un ennemi silencieux: l’inégalité.

Et les dégâts semblent déjà évidents. C’est dans les pays où la situation des classes populaires s’est le plus détériorée -comme la Grèce, l’Italie et l’Espagne- que le soutien  à l’UE a le plus baissé.

Au cours de cette dernière décennie, le contrat social, base de l’architecture supra-nationale du projet communautaire, s’est beaucoup détérioré. La distance entre les riches et les pauvres, entre le nord et le sud, entre les zones urbaines et les zones rurales n’arrête pas de s’agrandir et devient l’un des principaux casse-tête de l’Exécutif européen.

Dans de nombreux cas, l’UE a servi de bouc émissaire. On l’a rendue responsable de  tous les problèmes internes, ce qui a engendré un euro-scepticisme dont les courants politiques de droite et les ennemis de l’UE ont su tirer parti.

Au milieu d’un paysage économique incertain, marqué par la possibilité d’une nouvelle récession, ce rapport souligne le fait que l’Union Européenne n’a réussi à réduire les inégalités ni parmi les pays qui la composent, ni entre les régions d’un même pays.

LES CAPITALES CONCENTRENT LE CAPITAL

Les chiffres de ces rapports d’Eurostat montrent que la richesse se trouve entre les mains des consortiums du Vieux Continent et que ce sont les grandes capitales prestigieuses et leur métropole qui ont accumulé le plus de richesse au cours de ces dernières années.

Selon les Services de Recherche du Parlement Européen (EPRS), le « think tank » de l’Assemblée Européenne, le modèle de croissance actuel avantage les capitales et défavorise les zones agricoles et les anciennes zones industrielles.

Les EPRS citent comme exemple l’Espagne et la France, deux des pays où l’écart entre ses régions et le reste de l’Europe s’est le plus creusé entre 2007 et 2017.

« Il s’agit d’un phénomène généralisé. Sans la crise, il y aurait quand même eu une tendance à la même concentration de richesses », précise Ignacio Molina, chercheur à l’Institut Royal Elcano. « Mais il s’est accéléré et la crise a multiplié ses effets », souligne-t-il.

D’où le fait que l’ouest de Londres ait enregistré, en 2017, un PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat de 188 mille euros, presque six fois supérieur au pouvoir d’achat médian européen, ce qui en fait la région la plus riche d’Europe.

Loin derrière, avec 75 mille 900 euros, le Luxembourg arrive en seconde place. Et à l’autre extrême de l’UE, on trouve une région oubliée de la Bulgarie, la Severozapaden, qui a le PIB le plus bas de la zone euro.

Le Centre pour la Réforme Européenne -un autre « think tank »- avertit que les zones les plus productives ne sont déjà plus exclusivement celles où l’industrie a le plus de poids.

Il assure que la formule gagnante est un mélange de bon positionnement géographique, de proximité à de grandes villes en plein essor, ou à un fort pourcentage de travailleurs jeunes et ayant fait des études supérieures.

Ce modèle de développement économique concentré dans les grandes capitales, qu’Eurostat définit comme « monocentrique », se retrouve également dans l’est de l’Europe: Prague, Bratislava ou Bucarest ont des niveaux de PIB par habitant bien au-dessus de la médiane européenne, bien que le reste du territoire soit considérablement au-dessous.

L’INÉGALITÉ ENTRE LE NORD ET LE SUD

Bien que, depuis trente ans, on ait essayé de combler le fossé entre le nord et le sud, les inégalités présentes dans l’UE menacent de se transformer en abîme.

Selon le centre de recherche indépendant Bruegel, durant les 15 dernières années, ce processus s’est fortement accélère en Grèce, en Italie, mais aussi en Espagne où le PIB par habitant est à la traîne.

Pour l’institut Bruegel, l’UE est en train d’échouer dans l’un des principaux objectifs que s’était fixé la monnaie unique: la convergence des économies de ses États membres. Et cela a été vrai depuis le tout début.

Alors que les économies de la zone euro sont en pleine décélération, et avec la crainte qu’un Brexit sans accord accélère ce phénomène, le rapport de Bruegel souligne cette « convergence insatisfaisante » qui pourrait représenter une « menace pour la cohésion sociale » à l’intérieur de l’UE.

Le document explique que les pays de l’Est de l’Europe sont ceux qui ont le plus progressé dans ce domaine. Le revenu par personne dans des pays comme la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Pologne ou la Bulgarie a augmenté de plus de 4 pour cent par an entre 2003 et 2017.

Une telle différence -presque de trois points si on la compare aux principales économies de l’UE- leur a permis de se rapprocher des économies les plus riches.

Les pays du sud de l’Europe forment l’arrière-garde. « Ici, il y a eu divergence et non convergence, du moins pour certaines parties substantielles de ces pays », estime le rapport.

Parmi les derniers pays de la liste se trouve l’Espagne, dont le revenu par habitant n’a augmenté que de 0,65 par an. Mais on trouve aussi le Portugal (0,63) ou Chypre (0,57). Dans certains pays, le résultat peut même être négatif, comme en Grèce (-0,74) ou en Italie (-0,24).

ET DANS LES CAMPAGNES?

Selon le rapport le plus récent d’Eurostat, pour 14 pays européens le risque de pauvreté est plus important dans les zones rurales qu’urbaines.

Pour huit d’entre eux, le risque d’exclusion de la population rurale se situe entre 30 et 40 pour cent: la Grèce, la Lituanie, la Lettonie, la Croatie, Chypre, la Hongrie, l’Espagne et l’Italie.

C’est en Europe Orientale que la situation est la pire, avec des pays comme la Bulgarie et la Roumanie où plus de la moitié de la population se trouve dans cette situation.

En Europe Occidentale, par contre, le risque de pauvreté est plus grand quand on habite dans les villes. C’est ce qu’il se passe en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique ou au Danemark, où vivre à la campagne réduit les chances de se trouver socialement exclu.

Bien que ces derniers pays soient considérés comme des pays majoritairement riches si l’on considère les chiffres macro-économiques, ils sont confrontés à ce que beaucoup d’experts appellent « le paradoxe urbain »: des villes capables de créer de grandes richesses mais inaccessibles à une grande partie de leurs habitants.

Le meilleur exemple pour expliquer cette situation sont les prix extrêmement élevés du logement. Selon Eurostat, la location ou l’hypothèque du logement sont les éléments qui grèvent le plus le budget familial.

Et ceux qui vivent dans de grandes zones urbaines ne doivent pas seulement faire face aux déséquilibres financiers, ils doivent aussi payer davantage pour avoir accès aux services les plus proches.

Ne pas penser à ces deux extrêmes, ne pas regarder derrière soi: tel est le prix à payer par ceux qui veulent vivre au centre.

*Journaliste de la Rédaction Internationale de Prensa Latina.

Peo/arb/mml

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