Lima, 1er septembre (Prensa Latina) L’ancien ministre des Affaires Étrangères péruvien Rafael Roncagliolo a déploré dans une interview accordée à Prensa Latina la soumission de gouvernants d’Amérique Latine et l´une de ses conséquences : la dispersion de la région.
Il a également fait référence à la validité dénommé Chancelier de la Dignité, Raúl Porras Barrenechea, et au courant des anciens présidents et ministres des Affaires Étrangères latino-américains -que Roncagliolo intègre- opposés à l’élection de l’extrémiste nord-américain Mauricio Claver Carone à la présidence de la Banque interaméricaine de développement (BID).
Retrouvez ici l´intégralité de l´interview.
Prensa Latina : – Soixante ans après la Conférence de San José, lors de laquelle le chancelier péruvien Raúl Porras Barrenechea, contre les instructions de son gouvernement, s’est opposé à l’exclusion de Cuba de l´Organisation des États Américains (OEA) et a levé le drapeau de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples, quelle réflexion vous inspire cet épisode historique, dans le contexte actuel?
Rafael Roncagliolo.- L’intervention de Raúl Porras est un motif de fierté pour la Chancellerie et les diplomates péruviens. Le chef de cabinet du chancelier Porras était Carlos García Bedoya, qui était avec lui à la Conférence de San José.
En 1979, en tant que chancelier, Garcia Bedoya a encouragé les pays andins à reconnaître comme partie belligérante le Front sandiniste de libération nationale, afin d’éviter que la guerre civile nicaraguayenne ne soit résolue par une intervention militaire des États-Unis.
Des années plus tard, le chancelier Allan Wagner a promu le Groupe d’appui qui a précédé la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac), afin d’assurer une sortie latino-américaine de la crise en Amérique centrale. L’héritage de Porras a donc été très puissant et fructueux. C’est la trajectoire que nous ne voulons pas perdre.
PL.- Comment qualifiez-vous le fait que les États-Unis achètent des votes en échange de faveurs personnelles et de futurs financements pour obtenir l’élection de leur candidat à la présidence de la Banque interaméricaine de développement ?
RR.- Il est d’usage de convenir de soutiens réciproques et que certains pays se mettent d’accord sur des objectifs communs. Cela est contraire à l’éthique que le vote souverain d’un pays soit accordé en fonction de faveurs personnelles.
PL.- Vous faites partie d’un courant d’anciens présidents, d’anciens chanceliers et d’autres personnalités politiques latino-américaines qui s’opposent à l’élection du candidat étasunien à la présidence de la BID. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette opposition ?
RR.- Les raisons sont multiples et concernent toutes la nécessité de retrouver et de renforcer la dignité et l’autonomie de l’Amérique Latine. Entre autres, la nécessité de fixer l’ordre du jour de l’après-pandémie avant l’élection et l’opportunité de voter lors d´une assemblée en présence (et non de manière virtuelle). Si l’Assemblée a été ajournée, il est très rare que l’élection ne soit pas reportée.
Il y a aussi l’existence d’un accord de 1959, par lequel le Président de la BID doit être latino-américain. En l’absence de révision de cet accord, le choix de Mauricio Claver Carone deviendrait nul.
En outre, la nécessité pour la BID de ne pas se soumettre à des orientations de parti politique. Il faut trouver un consensus pour surmonter la crise créée par cette candidature illégale et illégitime
PL.- Washington a obtenu le soutien de gouvernements alliés pour prendre possession de la BID. Est-il possible de reporter l’élection pour ouvrir une pause de réflexion?
RR.- C’est très difficile, mais pas impossible. La grande responsabilité du Pérou est que sa position en la matière pourrait être déterminante.
PL.- Dans un article récent, vous reprochez aux gouvernements de sacrifier la dignité et les intérêts de leurs pays par des attitudes comme le soutien à la candidature étasunienne Mauricio Claver Carone à la présidence de la BID. Revenons-nous à l’époque où Porras a dû élever la voix contre ce que vous appelez la soumission du troupeau ?
RR.-Je pense que oui. Ces derniers temps, la soumission et le démantèlement ont atteint des niveaux qui étaient auparavant impensables et inimaginables. J’ai utilisé le terme soumission DE troupeau comme une analogie tirée de ces temps de pandémie. Puis il a été transformé par DU troupeau, qui est un peu péjoratif, mais je ne vais faire aucune rectification.
Il existe de fait un mouvement de défense de notre dignité et de notre autonomie qui s’est exprimé dans de multiples rejets à la candidature nord-américaine à la BID : d´anciens présidents de Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Chili, Équateur, Espagne, Mexique et Uruguay, sans compter ceux provenant d’autres latitudes.
Des personnalités de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, de la Colombie, du Chili, de l’Équateur, du Guatemala, du Mexique, du Pérou, de l’Uruguay et de l’Amérique Centrale dans son ensemble ont également pris cette position.
Ce mouvement pluraliste doit être très vigilant face à de nouvelles offensives. Par exemple, celle déjà développée par le Secrétaire général de l’OEA contre la Commission interaméricaine des droits de l’Homme. Et celles qui viendront certainement si le président Trump est réélu en novembre.
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