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La Bolivie embrasse la démocratie et sanctionne le coup d’État

Par Pierre Lebret et Maurice Jaramillo *

Paris, 24 octobre (Prensa Latina) Près d’un an après le coup d’État qui s´est terminé par l’exil du président Evo Morales et la persécution politique de dizaines de sympathisants du Mouvement Vers le Socialisme (MAS), le peuple bolivien s’est exprimé avec force en offrant le triomphe à l’ancien ministre de l’Économie Luis Arce lors des élections du 18 octobre.

Il y a 15 ans, la Bolivie s’est engagée sur la voie de la refondation par le biais d’une circonstance doublement inédite : le premier indigène à assumer la présidence et la première fois depuis 1967 qu’un candidat pouvait s’imposer aux élections dès le premier tour.

En décembre 2005, Evo Morales a réussi à obtenir 53 % des voix, et le Mouvement Vers le Socialisme, son parti, a obtenu la majorité au sein de l’appareil législatif. Cela laissait présager un changement total qui passait par la rédaction d’une nouvelle constitution, car la Bolivie sortait de graves crises de gouvernance.

Gonzalo Sánchez de Lozada (1993-1997, 2002-2003) et Carlos Mesa (2003-2005) avaient quitté le pouvoir avant la fin de leur mandat au milieu d’une gronde sociale due à la mauvaise gestion des ressources du pays qui possède les plus grandes réserves de gaz des Amériques, mais dont l’extrême pauvreté atteignait alors 38 % de la population.

Au milieu de l’euphorie due au virage à gauche qui semblait hégémonique dans la région en raison de l’apparition de phénomènes similaires en Argentine, au Brésil, en Équateur et en Uruguay, entre autres, et dont le discours pionnier ressemblait à celui d’Hugo Chávez qui avait fait irruption sur la scène internationale en 1999, la Bolivie s’est plongée dans une refondation de son système politique et économique.

Dans une polarisation marquée et avec des épisodes de violence, la rédaction de la nouvelle constitution a été prolongée durant trois ans et n’a pu entrer en vigueur qu’à partir de 2009.

Depuis lors, le miracle économique bolivien s’est alors produit, un schéma qui a prouvé sa viabilité à long terme. Avec Morales, la pauvreté extrême est passée de 38 à 15 pour cent, a diminué de plus de 30 pour cent, et la concentration du revenu, mesurée selon le coefficient de Gini, est passée de 54.5 en 2005 à 44.0 en 2019. Ce dernier résultat reflète un succès représentatif dans la région du monde la plus inégalitaire en termes de moyenne.

En 2016, soutenu par une vague de popularité sans précédent depuis le retour de la démocratie en 1981, Evo Morales a proposé une réforme de la constitution pour une deuxième réélection.

Cela a fait l’objet d’une consultation populaire où le ‘non’ s’est imposé et Morales a fait appel à la justice qui lui a étonnamment accordé le droit de se présenter pour un troisième mandat et une seconde réélection lors du scrutin d’octobre 2019.

Au milieu d’une atmosphère de division, le résultat l’a donné comme vainqueur devant Carlos Mesa, lequel n’a pas reconnu le résultat. Comme plusieurs autres secteurs, il a organisé des manifestations pour dénoncer des manipulations électorales.

L’Organisation des États Américains, qui disposait d’une mission d’observation sur place, a publié un rapport dans lequel elle laissait entendre qu’il aurait pu y avoir eu fraude en faveur de la réélection de Morales et suggérait donc de renouveler l’élection, ce que le gouvernement a accepté, mais les militaires ont fait pression et intimidé Morales pour qu´il abandonne le pouvoir.

Le rapport de l’OEA a été truffé d’erreurs et d’incohérences, comme l’ont ensuite mis en évidence le Center for Economic and Policy Research et le Laboratoire de Science et de Données Électorales du MIT qui ont publié des études indépendantes révélant de graves imprécisions dans le rapport de l’Organisation des États Américains.

La chute de Morales a conduit à la mise en place du gouvernement intérimaire de Jeanine Áñez, dénoncé internationalement pour persécution contre des membres, des militants et des sympathisants du MAS.

Le triomphe de Luis Arce au premier tour avec plus de 52 % des voix est synonyme d’espoir pour les couches les plus humbles du pays. Il s´agit d´une large victoire lors de ces élections générales qui lui donne la légitimité pour reprendre la voie des réformes et lutter contre la pauvreté et l’inégalité, ainsi que pour la promotion d´un modèle tourné vers le développement industriel local.

Un agenda que les auteurs du coup d’État de 2019 avaient laissé de côté pour embrasser le libéralisme économique et la discrimination indigène comme politique publique. Le peuple bolivien a décidé.

Après l’élection d’Alberto Fernández en Argentine l’année dernière, et maintenant avec la victoire du MAS en Bolivie, le virage à droite qui a commencé il y a quelques années semble fortement affaibli.

Contrairement aux multiples spéculations, le cycle du progressisme, loin d’être terminé, semble s’approfondir et s’adapter à de nouvelles circonstances. Reste à savoir ce qu’il adviendra des élections au Chili et en Équateur, qui sont déterminantes sur la carte politique de la région. La démocratie et la justice sociale semblent s’imposer comme cap après des années de violations des droits de l’Homme et de politiques d’austérité.

peo/arb/pl-mj

*Lebret est un politologue français, spécialiste de l´Amérique Latine et expert en coopération internationale; Jaramillo, est docteur en sciences politiques et professeur à l’Université du Rosario, Colombie.

 
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