Managua, 25 mars (Prensa Latina) La politique de l’administration nord-américaine dirigée par le démocrate Joe Biden vis-à-vis de l’arrière-cour latino-américain ne changera pas fondamentalement sa stratégie, mais plutôt de forme. Telle est la première conclusion que Prensa Latina tire de l´entretien accordé par Manuel S. Espinoza, directeur du Centre Régional d’Études Internationales, à Managua, avec une expérience de 25 ans dans le suivi et l’analyse de la politique de Washington pour la région, en particulier sur l’approche du Département d’État étasunien et son artillerie pensante envers le Nicaragua.
Les thèmes de l’agenda des États-Unis pour l’Amérique centrale au cours des quatre prochaines années seront centrés sur les migrations irrégulières et le crime organisé dans toutes ses facettes, a prédit Espinoza.
Par le biais du Triangle du Nord (Guatemala, El Salvador et Honduras), ils s’efforceront d’empêcher les grandes vagues migratoires, action pour laquelle un financement de 4 milliards de dollars devrait être alloué au cours des quatre prochaines années.
Le conseiller nord-américain à la Sécurité nationale pour l’Amérique latine, Juan Sebastián González, a proposé comme axes de travail dans la région le problème de la corruption, le thème dictatorial et la création d’organisations non gouvernementales (ONG) analogues aux cours de justice locales.
POUVOIR PARALLÈLE AUX GOUVERNEMENTS NATIONAUX
Le modèle serait la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (2006-2019), qui aurait le pouvoir, en vertu de la loi nord-américaine, d’arrêter, de poursuivre et d’extrader un président en exercice.
« Ils appellent cela la justice transnationale », a déclaré Espinoza à propos de ce genre de tribunaux parallèles.
Il s´agit d´investir de l’argent dans l’armée de la société civile, les ONG politiquement engagées et financées par le gouvernement nord-américain, ce qui représente, avec l´aide des médias de masse, la création d’un pouvoir parallèle aux gouvernements nationaux.
Sous les diktats de cette stratégie se forme un mur d’endiguement au nord contre le Nicaragua, dont les interlocuteurs seront non seulement les gouvernements, mais aussi la société civile et l’entreprise privée.
Dans l’agenda politique régional (du Département d’État), le Nicaragua occupe une place de choix, comme une cible, a illustré le chercheur diplômé de l’Institut d’État des Relations Internationales de Moscou.
LE RÉSULTAT ÉLECTORAL AU NICARAGUA NE SERA PAS RECONNU
À moins de huit mois du grand rendez-vous quinquennal dans les urnes, le panorama politique du Nicaragua démontre que le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) au pouvoir est favori dans les sondages et que l´opposition est atomisée.
Comme l’administration démocrate débute son mandat dans ce contexte, et que le Nicaragua est l’un des cercles intérieurs de la cible latino-américaine de la politique étrangère des États-Unis, s´aventurer à prévoir ce qui se passera le 7 novembre prochain et les jours suivants le rendez-vous électoral dans ce pays centre-américain a été l´un thème abordé lors de cette rencontre avec Espinoza.
« Je suis sûr qu’ils ne reconnaîtront pas le résultat électoral », anticipe le politologue en référence à la probable victoire de l’Alliance Unie, le Nicaragua Triomphe, dirigée par le FSLN.
La prédiction s’appuie sur l’issue des élections présidentielles au Venezuela (2018) et en Bolivie (2019), qui ont fait place à la farce d’un président autoproclamé dans un cas et à un coup d’État suivi d’un gouvernement de facto pendant une année dans l’autre.
« C’est une question de politique, de réalisme politique vulgaire, et dans l´agenda des États-Unis, il est écrit le mot déstabilisation », a-t-il souligné.
« Les ressources (économiques) ils les ont, il faudrait maintenant voir s’ils ont les ressources humaines suffisantes pour se lancer dans une aventure comme celle de 2018, avant les élections, tout au long du processus ou après les suffrages. Et ce dans le but de créer un chaos qui dénature la possible victoire populaire sandiniste », a expliqué le chercheur.
Espinoza a en mémoire les mots de Ryan Berg, expert en gouvernance de l’American Enterprise Institute (un centre de pensée conservateur basé à Washington D.C.) dont les articles sur le Nicaragua depuis 2020 s’articulent autour des termes « élections justes, libres et transparentes ».
Sauf qu’à la recette électorale pour le plus grand pays d’Amérique centrale, Berg ajoute maintenant le condiment de « surveillées, très surveillées », et non plus seulement observées.
DROITS DE L’HOMME
La question rebattue des droits de l’Homme est un autre axe thématique des orientations de la politique étrangère des États-Unis à l’égard de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Au Nicaragua, l’Organisation des Etats Américains et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme commencent déjà à entrer dans l’arène en essayant d’officialiser des matrices d’opinion comme répression, crimes, persécution, emprisonnements.
Et cela dans le but de blâmer le président et la vice-présidente du Gouvernement, les commandants de la police et de l’armée, de manière à tenter de renverser le pouvoir politique et militaire. La scène serait alors prête pour que le chœur régional de droite commence à agir.
« Une liste d’organisations signataires soutenant une telle déclaration apparaîtrait soudainement, la formule idéale pour officialiser le mensonge », a ajouté Espinoza.
« Dans la situation du Nicaragua, l´agenda de déstabilisation leur est pressant et surtout dans un contexte où l’opposition, comme les propres think-tanks nord-américains le reconnaissent, est désunie et fragmentée ».
L’EAU COMME FACTEUR DE GÉOPOLITIQUE
Depuis l’ébauche du projet de construction du nouveau canal interocéanique à travers le territoire du Nicaragua, cette idée ne laisse pas les stratèges du Département d’État dormir en paix.
« Le Canal et nos ressources aquifères sont deux énormes butins. Le Canal viendrait reconstruire un format géopolitique global, qui générerait une énorme influence sur le commerce mondial et sur le rapprochement d’autres acteurs forts dans ce domaine, comme la Chine », a expliqué Espinoza.
« La présence de la Chine et de la Russie (en Amérique latine et dans les Caraïbes) leur donne mal au crane », a-t-il ajouté.
Au sujet de la richesse hydrique du Nicaragua et de ce qu’elle peut représenter pour les appétits étrangers, Espinoza a averti que le liquide dit vital est déjà en bourse, comme le pétrole ou le blé.
En raison de la voracité du monde développé, les ressources en eau peuvent paradoxalement représenter un danger pour le Nicaragua.
Il est à noter que l’indice Nasdaq Veles California WaterIndex, sous la dénomination NQH2O et concernant les ressources en eau, a commencé à être coté le lundi 7 décembre 2020 sur le marché d’avenir des matières premières de la Bourse de New York.
POLITIQUE EXTÉRIEURE CORPORATIVE
L’analyse du politologue nicaraguayen sur la politique étrangère du puissant voisin du nord montre le caractère corporatif de ce guide d’action, qui est ensuite exécuté par le Département d’État.
« Souvent, et à tort, nous attribuons aux présidents des États-Unis la direction des actions de politique étrangère de « X » ou « Y » administration à Washington », a signalé le chercheur.
Toutefois, a-t-il estimé, ceux-ci ne servent qu’à signer et réaffirmer le cours qui a déjà été tracé par une série de propositions bien documentées par les chercheurs et les spécialistes des centres de pensée qui élaborent et produisent des plans d’action en vue de soutenir et promouvoir les intérêts de l’élite du pouvoir économique nord-américain en termes de recherche académique.
« L’analyse de la politique étrangère des États-Unis doit apporter à la gauche latino-américaine suffisamment d´éléments de prévoyance pour l’alerte précoce et y compris la prise de décision à temps. Car le renard peux perdre son pelage mais jamais son art pour les ruses », a conclu Espinoza.
peo/arb/fgn
Ont collaboré à ce travail : Diony Sanabia, Martha Andrés Román et Adriana Robreño, journalistes; Amelia Roque, éditrice; David Reyes, éditeur de télévision; Lázaro Miranda (LAZ), caricaturiste; et Rey Dani Hernández, webmaster.