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*Par Andrès Schiapichetti
Buenos Aires, 3 avril (Prensa Latina) La société argentine a trouvé un moyen spécial pour canaliser son mécontentement envers l’actuel modèle de Gouvernement présidé par Mauricio Macri.
Depuis que les autres formes conventionnelles de manifestation se sont épuisées, des tribunes de stade retentit un écho qui se propage dans tout le pays et commence à préoccuper réellement le Gouvernement. Et pour cause: la clameur provient de l’endroit même où démarra autrefois le succès de Macri: le football.
En moins de deux années, les marches multiples, les grèves partielles ou générales, les manifestations dans les collèges et les lycées se sont succédées.
La majorité de ces manifestations furent réduites au silence ou minimisées par les grands médias, même quand certaines d’entre elles se terminaient par de violentes répressions (le vote de la loi sur le travail au Congrès, en est l’exemple le plus frappant).
Malgré la représentativité et la détermination de ces manifestations, le monopole médiatique est parvenu à installer dans l’esprit des citoyens dépolitisés l’idée que les participant à ces diverses manifestations étaient soit payées, soit forcées d’y participer; ou bien que c’étaient des agitateurs qui n’avaient que ce qu’ils méritaient.
Ainsi, le Gouvernement stigmatise toutes les formes de revendication légitime contre une aggravation économique qui fait souffrir presque toute la population, si l’on excepte une poignées de familles privilégiées.
Cependant, l’inventivité populaire trouve toujours une porte de sortie et, cette fois, c’est dans les tribunes des stades qu’a commencé à s’extérioriser ce qui est en général censuré par les média. Et, peu à peu, cette protestation a fini par donner naissance à un refrain dans lequel le président de la nation est personnellement mentionné.
L’histoire a débuté dans le stade de San Lorenzo et a pris d’abord la forme d’une protestation contre des erreurs arbitrales survenues dans plusieurs matchs successifs, au profit de Boca Juniors, ou même, parfois, de l’équipe adverse ( il faut toujours garder à l’esprit que Macri se lança dans la politique en utilisant pour tremplin la présidence du club xeneize, comme on appelle les supporters de l’équipe Boca Juniors).
Une semaine après San Lorenzo, on put entendre le même refrain entonné dans le stade de River Plate, autre équipe qui se sentait lésée par les décisions de l’arbitre.
Jusque là, le phénomène était resté cantonné au mécontentement footballistique causé par des fautes d’arbitrage défavorisant les clubs les plus opposés à Boca. Puis les choses empirèrent. Le même chœur fut repris, avec la même force, chez les All Boys, Huracán, Chacarita et dans les stades de basket et les récitals de rock.
À partir de là, on peut parler d’un phénomène dépassant la simple protestation pour erreur d’arbitrage ou pour favoritisme envers telle ou telle équipe. On se trouve dorénavant devant la nécessité pressante d’une foule qui désire extérioriser un mécontentement profond.
Le phénomène est de taille. Si l’on analyse les matchs objectivement, il est impossible de ne pas admettre que Boca ait profité de quelques erreurs d’arbitrage très discutables et qui l’ont favorisées pour le classement du championnat. Mais il est également exact d’affirmer qu’il ne s’agit pas de la première fois; la même chose s’est passée lorsque d’autres présidents étaient à la tête du pays.
Le vrai problème est que, maintenant, non seulement le mandataire de la nation, mais aussi Claudio Tapia, président de l’Association du Football Argentin (AFA) , est un sympathisant avéré de Boca, tout comme Daniel Angelici, qui fait y la pluie et le beau temps, en plus d’être vice-président de l’AFA et l’un des principaux acteurs de la coalition politique Cambiemos.
Tous ceci forme un faisceau de facteurs qui engendre la méfiance parmi les supporters des autres équipes.
Mais nous ne sommes encore que dans l’anecdote. Les gens ne crient pas contre un championnat qu’ils croient (suppose-t-on) arrangé d’avance pour faire gagner la Boca. Ils crient parce qu’ils en ont besoin crier. Parce que crier est devenu une nécessité. Et qu’ils ont besoin d’être écoutés.
Voilà qui explique les inquiétudes de la Maison Rose.
Le gouvernement craint que ce chant continue à retentir, et pas seulement en raison de son succès qui fait boule de neige dans chaque retransmission télé ou radio, mais aussi parce qu’il pourrait aboutir à créer une ambiance de mécontentement rappelant celle qui, justement, fit le terreau de Macri.
Le football n’a pas été seulement un tremplin pour l’actuel mandataire de la nation. Pour de nombreux argentins, il ne serait jamais arrivé à la place qu’il occupe s’il n’avait pas été le président de Boca. Et le football a aussi été son refuge. Parler de foot est une de ses tactiques préférées et qu’il utilise ( à des degrés exaspérants) lorqu’il est à court d’idées sur les thèmes chauds de l’actualité.
C’est un stratagème qu’il a employé non seulement en Argentine mais avec les plus hautes autorités internationales, banalisant ainsi à la fois la politique et le football.
Or justement, nous savons maintenant que le football est un véritable phénomène politique et social. Il ne faut pas le banaliser. Ce qui préoccupe l’actuel président, c’est surtout son impuissance devant cette clameur qu’il ne parvient pas à faire taire. Comment réduire au silence 30 ou 40 mille âmes?
À vrai dire, ce n’est pas la première fois que le football argentin connaît un tel phénomène. Mais il faut certainement remonter à l’époque de la dictature quand lles gens chantaient la marche péroniste sur les terrains de foot.
En ce moment, le pouvoir tente de faire taire la clameur par plusieurs moyens, y compris l’utilisation de l’arbitrage.
Guillermo Marconi, membre important du Syndicat des Arbitres Sportifs de la République d’Argentine, a reconnu que la suspension des matchs a été envisagée tant que dureraient ces cantiques.
Ce même Marconi est resté dans les mémoires en tant que briseur de grève, lorsque, en 1992, il créa un nouveau syndicat d’arbitres pour s’opposer aux revendications et, qu’avec ses acolytes, ils entrèrent sur les terrains pour que les matchs puissent être joués.
Le gouvernement tente également d’intervenir auprès des organisations retransmettant les matchs pour que le son soit automatiquement baissé quand les chants commencent, ce qui, franchement, revient à se cacher le soleil avec les doigts.
D’autre commentateurs, mal intentionnés, affirment qu’il s’agit seulement d’une opération de l’opposition menée par une poignée d’infiltrés.
Comment ça une poignée d’infiltrés? Une poignée d’infiltrés réussirait donc à faire chanter 30 mille personnes, et avec des publics aussi distincts et antagonistes que San Lorenzo et Huracán ou Chacarita et AllBoys?! Allons donc!
Restent,bien sûr, les supporters de Boca. Les xeneizes ne se sont pas pliés,-on s’en doute- à cette mode des chansons ( du moins pour le moment).
Ils sont loin de vouloir le faire. D’abord, parce que les supporters de Boca croient dur comme fer que le but des supporters des autres équipes est de délégitimer leur triomphes. Ensuite parce que le supporter-type de Boca fait passer son club avant tout, y compris la sélection nationale, et que nombre de ses fidèles pense que les succès de leur club dans le passé sont dus, en grande partie, au macrisme.
Finalement, et même s’il existait une partie du public xeneize idéologiquement opposée au macrisme, il est difficile d’imaginer un tel public se laissant entraîner à entonner un chant contre Macri alors que l’esprit qui l’anime correspond, en fait, au modèle macriste.
Non, la Bombonera ne se laissera pas faire si facilement. Aujourd’hui, du moins, ce n’est pas le cas. Le jour où l’on entendra des chansons contre Macri s’élever des rangs de supporters de La Bombonera, ce sera parce qu’ils ont vraiment besoin de s’envoler en hélicoptère.
*Collaborateur de Prensa Latina en Argentine
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