Par Pierre Lebret et Mauricio Jaramillo Jassir * (Pour Prensa Latina)
Paris, 20 juillet (Prensa Latina) La concertation politique en Amérique Latine et dans les Caraïbes a traversé plusieurs étapes, mais jamais auparavant les citoyens n’avaient manifesté autant d’intérêt pour la participation régionale.
Durant les premières décennies de l’après-guerre, des schémas de coopération ont été mis en place, comme dans le cas de l’Organisation des États Américains (OEA), et d’intégration régionale, dans un sens nettement commercial et économique comme la Communauté Andine (CAN) et des décennies plus tard avec le Marché Commun du Sud (Mercosur). Toutefois, ces processus ont été marqués par la guerre froide et la confrontation entre Washington et Moscou a fini par les conditionner négativement.
La suspension de Cuba de l’OEA pour avoir adopté un modèle de démocratie populaire, tout en maintenant intactes les adhésions aux gouvernements militaires résultant de coups d’État, a peut-être été la contradiction la plus paradigmatique de l’époque, mais pas la seule.
Malheureusement, les bouleversements politiques dans les régimes présidentiels font que la régionalisation, qui doit être un processus continu, cohérent et institutionnalisé, finit par devenir un contingent et un reflet de la corrélation des forces idéologiques du moment.
À une époque, l’arrivée de gouvernements conservateurs qui a commencé avec le triomphe de Mauricio Macri en Argentine, le coup d’État parlementaire contre Dilma Rousseff au Brésil et l’arrivée inattendue de Jair Bolsonaro, a affaibli la construction régionale antérieure qui avait réussi à abandonner les logiques arbitraires de la guerre froide et a, comme rarement, permis la construction d´espaces de concertation pour surmonter les différences, la mise en œuvre de visions politiques communes à partir d’un ensemble d’États et la prise d’initiatives inédites au bénéfice d’une citoyenneté en tous sens régionale.
La réalisation de l’Union des Nations Sud-américaines (Unasur) et de la Communauté des États Latino-Américains et Caribéens (Celac) n’a pas été le fait de la gauche, mais du pluralisme.
C’est pourquoi, lorsque le cadre régional de gouvernements conservateurs s’est renforcé avec l’élection de Sebastián Piñera au Chili et d’Iván Duque en Colombie, il s’est avéré inexplicable que tout ait été fait, jusqu´à l´impossible, pour démanteler l´Unasur et geler toute initiative au sein de la Celac qui, jusqu’alors, se trouvait aux portes de devenir un canal de dialogue politique avec l’Europe et la Chine.
Au milieu d’un panorama désolant pour l’intégration et la concertation politique régionale, l’Amérique Latine et les Caraïbes ont vu l’émergence du Groupe de Puebla, incitative de la société civile sans précédent, impulsée par plusieurs leaders progressistes qui proposent une construction régionale depuis les rives inécoutées en ces années d’hégémonie conservatrice.
Dans le cadre de ce processus, il convient de souligner l’idée d’un schéma de dialogue entre les différents groupes parlementaires progressistes pour contrecarrer le discours épuisé de plusieurs des gouvernements qui insistent sur des initiatives aussi anachroniques que stériles, le Groupe de Lima étant le cas le plus représentatif.
Un tel ensemble est synonyme d’actions improvisées, médiatiques, imposées et le plus grave : éloignées du droit international. Sa dynamique nuit non seulement aux plus démunis qui souffrent au Venezuela des sanctions, mais elle désactive également les espaces de dialogue construits pendant des décennies et qui ont servi précisément à surmonter et à traiter dans le cadre des principes de la souveraineté les différends entre États.
L’intégration régionale est essentielle, d’autant plus que nous savons que la pandémie entraînera la plus forte contraction de l’activité économique dans l’histoire de la région avec une chute de 9,1 du PIB cette année, comme annoncé par la Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes des Nations Unies (Cepal). Il en résultera davantage de pauvreté et d’inégalités.
Dans ce contexte, et pour que les annonces faites par les organismes régionaux en faveur du développement inclusif et durable ne restent pas seulement des figures déclaratives et des suggestions aux gouvernements, l’intégration doit évoluer vers une institutionnalisation accrue.
Le groupe de parlementaires de Puebla peut ouvrir la voie à une régionalisation qui ne soit pas le monopole des gouvernements, et où tous les segments de la population latino-américaine soient représentés.
Le travail législatif est essentiel pour adopter des règles qui permettent d´avancer vers un projet d’intégration cohérent, durable et doté d´attributions accrues.
Dans le cadre actuel de l´agenda 2030 pour le Développement Durable au sein des Nations Unies, le supranational ne peut plus être synonyme de cession, mais devenir celui de coopération et de solidarité entre territoires.
Dans un organisme comme la Celac, son ancrage pourrait passer par la mise en place d’un secrétariat régional pour avoir une voix pesant davantage sur la scène mondiale, avec des initiatives pour promouvoir des projets régionaux d’envergure, en mobilisant la coopération internationale, en soutenant les réformes fiscales visant à mettre un terme à l’évasion fiscale et à progresser sur la voie d’une fiscalité redistributive comme progressive, ainsi que la création de fonds structurels pour les situations d’urgence.
La région et le monde sont en train de changer, et il est donc important d´influencer pour progresser dans la bonne direction.
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*Lebret est politologue, spécialiste de l’Amérique Latine et expert en coopération internationale; Jaramillo, professeur à l’Université du Rosario, Colombie.