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Le commerce de la guerre et les intérêts du capital mondial

Par María Julia Mayoral *

La Havane, (Prensa Latina) « Les états et les compagnies transnationales ont de plus tendance à employer des civils entrainés pour la guerre, le sabotage et la lutte contre des insurgés », met en garde la mexicaine Ana Esther Ceceña, coordinatrice de l’Observatoire Latino-Américain de Géopolitique.

Ana Esther Ceceña, titulaire d’un doctorat en relations économiques internationales et professeur à l’Université  Autonome de Mexico, étudie ce sujet depuis des années et a bien voulu partager le résultat de ses recherches dans un entretien exclusif accordé à Prensa Latina.

Selon cette chercheuse, les activités de guerre -qui sont, en principe, des tâches appartenant aux États- ont acquis de nouvelles caractéristiques depuis qu’elles sont menées par des forces privées employées en sous-traitance et qui sont plus versatiles, plus atomisées et n’ont de compte à rendre à personne, à l’inverse des armées régulières appartenant à un État.

“Le phénomène a pris de l’ampleur et il serait bon de se demander si, à l’échelle internationale, nous ne sommes pas en train de perdre les repères éthiques qui, en principe, devraient être ceux de toute force publique destinée à la défense d’une société”, déclare-t-elle.

À son avis, et depuis des années, ce qu’il est convenu d’appeler “guerre conventionnelle” -au sens d’un conflit armé entre deux États- est dépassé et a laissé place à des attaques moins bien déterminées menées par des groupes non-conventionnels contre des populations parfois sans défense ou contre des sections mécontentes de la société.

Des groupes de civils préparés au combat, sont sous-traités pour intervenir dans divers conflits, créer une déstabilisation interne dans un pays donné, protéger les intérêts des grandes compagnies, et, le cas échéant, entrainer les forces spéciales régulières de tel ou tel État.

“Il s’agit”, précise Ana Ceceña, “de forces plus versatiles, difficiles à cerner avec précision, mais qui sont prêtes a défendre les intérêts du capital, quelque soit la nature du commanditaire”.

“Cependant », explique-t-elle, « le Pentagone commence à envisager le retour à une guerre conventionnelle car, maintenant, il doit tenir compte de l’apparition d’alliances contre-hégémoniques menées par la Russie et par la Chine (c’est à dire des puissances d’Etat qui d’une certaine manière refusent et même parfois s’opposent à la politique hégémonique de Washington et progressent sur un terrain où, autrefois, les États-Unis régnaient en maîtres)”.

“Il serait donc légitime d’imaginer”, prédit-elle, “que, dans un proche avenir, la guerre se développera sur deux plans, “par-dessus et par-dessous », pourrait-on dire, car la guerre non-conventionnelle est très corrosive alors que, dans la guerre conventionnelle, il s’agit davantage de confrontation ouverte et, parfois, d’intimidation”.

L’AMÉRIQUE LATINE EST DANS LE VISEUR.

Ana Ceceña estime que Washington essaie de trouver le plus de soutien possible à sa politique parmi les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes car ce soutien lui est nécessaire pour pouvoir faire face à la coalition eurasiatique.

Historiquement, les États-Unis ont toujours eu besoin du soutien de la région pour être en mesure de livrer des guerres dans d’autres endroits de la planète et “si cela a toujours été le cas précédemment, cela devrait être encore plus vrai à une époque où d’autres pôles de pouvoir sont en train d’émerger”, affirme-t-elle.

Des personnes comme Jair Bolsonaro, le nouveau président du Brésil, et Mauricio Macri, le président de l’Argentine, sont une aubaine pour Washington car ils représentent le retour aux anciennes pratiques d’autoritarisme et au néo-libéralisme.

À son avis, ces régimes autoritaires qui reviennent au pouvoir le font, certes, par le biais des urnes, “mais ils s’appuient sur des mécanismes de guerre qui travaillent à modeler dans leur sens le sens des choses, à façonner des concepts de la réalité qui sont à leur avantage, et à inoculer des modèles culturels et des dynamiques de fascination au moyen d’objets et de thèmes qui impliquent des changements de mode de vie”.

Les gouvernements progressistes d’Amérique Latine ont eu des réussites à leur palmarès; ils ont aussi commis de erreurs; mais ce qui les a empêchés de progresser c’est qu’ils ont été pénétrés, infiltrés, par des projets de droite et qu’ils se sont trouvés face à “une politique concertée, délibérée -on pourrait même dire “patiente”-  qui les a minés et rongés de l’intérieur « jusqu’à ce que soient créées les conditions pour leur chute”, analyse Ceceña.

Il est très curieux, souligne-t-elle avec une fine ironie, que tous ces dirigeants progressistes soient poursuivis par la loi: “ Si l’on on a utilisé les tribunaux afin de créer les conditions nécessaires pour corroder  ces gouvernements progressistes, cela ne doit pas nous surprendre. Ce phénomène nous ramène à un problème que nous connaissons depuis longue date: la corruption qui, de manière générale et presque consubstantielle, existe dans tous ces pays”.

Ce ne sont ni les élections, ni les manifestations qui feront tomber les vrais pouvoirs, ceux qui ont été structurés par le système capitaliste pendant 500 ans. “Les forces du capital”, insiste-t-elle, “possèdent une mentalité stratégique, des centres d’élaboration de la pensée, des plans à long terme”.

Dans la dernière vague de gouvernements progressistes de la région, déclare-t-elle, le cas le plus intéressant est celui du Venezuela car “Hugo Chavez avait une pensée stratégique précise et très développée”.

C’est la raison pour laquelle il misa  sur des politiques qui, à court terme, auraient pu apparaitre comme très timides, mais qui, à moyen terme, créaient des conditions susceptibles de conduire à une véritable transformation sociale, estime-t-elle.

Pour certains critiques de Chavez, la création des communes était une perte de temps et de moyens, mais Chavez continua à les soutenir et , aujourd’hui, ce sont ces systèmes d’économie communale qui sont l’une des meilleures défenses du pouvoir populaire et de l’évolution de la société au Venezuela.

Le point de vue de Ceceña est qu’il est possible de combiner des mesures à court terme avec d’autres types de politique et de développement de la société; il faut simplement créer les conditions favorables pour que se consolide peu à peu un projet progressiste irréversible. C’est ce qui s’est passé en  Equateur.

PRÉSENCE DU COMMANDO SUD EN AMÉRIQUE LATINE ET AUX CARAÏBES.

En ce début de XXIème siècle, les bases militaires en Amérique latine ont augmenté et par “bases militaires”, il faut entendre les centres d’opérations spéciales, c’est-à-dire de petits centres d’entrainement dont le but est d’ impartir des connaissance spécifiques aux forces de sécurité du pays concerné.

“ Tous ces centres d’entrainement ont été installés par le Commando Sud des États-Unis en accord avec les Gouvernements locaux. Ainsi, au Pérou, 15 centres de ce type ont été créés pour un coût global de 45 millions de dollars et on prévoit ’l’installation de deux camps supplémentaires d’ici peu”, a indiqué Ceceńa.

Ces centres d’opérations spéciales, avertit-elle, se trouvent tous dans des zones importantes soit en raison de leur richesse naturelle, soit en raison de leur position géographique stratégique ou parce que ce sont des zones de passage ou parce qu’il s’agit de zones frontalières entre des états auxquels Washington porte un intérêt particulier.

En ce moment même, le Brésil est en passe de céder la base d’Alcántara aux nord-américains, qui en ont déjà établi une autre à Tabatinga, sur la triple frontière entre le Pérou, la Colombe et le Venezuela, afin d’accueillir l’exode provenant de ce dernier pays, disent-ils, mais, surtout, pour pouvoir servir d’appui à toute intervention militaire qui pénétrerait dans le pays pour des raisons supposément humanitaires.

Sans oublier que le Brésil possède ses propres forces armées et de sécurité et que, sous la présidence de Bolsonaro, il existe de fortes chances pour que s’accroissent les tensions à la frontière du Venezuela, prévoit la chercheuse.

En réponse à notre question sur le rôle de ce Commando Sud, Ana Ceceña nous a répondu que c’était un outil de la Maison Blanche pour éliminer, ou au moins neutraliser, les gouvernement s’opposant à ses visées hégémoniques tout en continuant d’assurer l’accès des États-Unis aux richesses naturelles de l’Amérique Latine.

Du point de vue du Commando Sud, l’important est de contrôler le territoire, ce qui explique l’augmentation de l’implantation militaire dans la région de l’Amazonie, le long du bassin des Caraïbes, région qui passe par le canal de Panama et qui, entre autres, comprend le Venezuela et ses importantes réserves de pétrole, d’eau, d’or et de coltan  parmi tant d’autres.

La zone de loin la plus militarisée se trouve être le bassin du Grand Caraibe. “Ces petites îles, qui semblent parfois insignifiantes sur la carte, sont de toute importance pour les États-Unis; c’est de là qu’ils surveillent la région “, ajoute Ceceño.

En se fondant sur les études qu’elle a faites, elle estime qu’il existe aujourd’hui, en Amérique Latine, un pays  que “le danger entoure de toutes parts »: c’est la Bolivie, cernée qu’elle est, comme nul autre, par les installations du Commando Sud.

La menace est claire, poursuit-elle, et pour deux raisons fondamentales: la Bolivie possède de grandes richesses naturelles convoitées par les États-Unis et, de plus, elle est l’’unique État, avec le Venezuela, qui maintient un projet de société autre que le néo-libéralisme.

Contre la Bolivie, explique Ceceña, “les États-Unis sont en train d’employer ce que j’appelle une politique corrosive s’adressant à la société civile pour introduire ou exacerber des problèmes entre divers secteurs de la population”, bien que la stabilité et les victoires économiques du gouvernement d’Evo Morales leur rendent la tâche difficile.

Certaines Organisations Non-Gouvernementales (ONG) dont le financement provient de fondations nord-américaines ou de  l’Agence des États-Unis pour le Développement (connue en anglais sous le sigle USaid) ont même participé à ce travail de sape.

À l’intérieur de l’Amérique Latine en général, nous assure Ana Ceceña, il existe aujourd’hui  des ONG dont les fins sont subversives et qui sont installées dans les pays depuis longtemps. Parfois, elles se présentent comme des organisations dont le but est de sauver la culture indigène, ou de lutter pour la protection de l’environnement en protégeant les semences ou de diverses autres manières.

Par moments, elles opèrent de manière plus militante et se confrontent aux gouvernements mais “elles sont patientes, elles prennent leur temps, elles s’enracinent dans le territoire et dans les populations et, à partir de là, elles commencent à répandre leurs critiques”.

Le scénario qui nous attend dans l’avenir est complexe, mais “les forces de droite ne parviendront jamais à se rendre maitresses de toute l’Amérique latine et des Caraïbes, surtout quand leur main-mise signifie la déprédation, la précarisation, l’asservissement matériel et physique de millions d’êtres humains”, conclut cette spécialiste.

peo/arb/mfb/mjm

* Journaliste de la Rédaction Economique de Prensa Latina.

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