Par Eduardo Rodriguez-Baz*
Madrid, 23 avril (Prensa Latina) Après avoir recruté des hommes politiques précédemment affiliés au Partido Popular (PP) et des militaires sympathisants de la dictature (1939-1975), Vox est en train de devenir le premier parti d’extrême-droite à avoir accès au Parlement espagnol.
Si les pronostics des sondages se confirment, ce parti, créé en 2013, fera irruption avec force dans la Chambre des Députés à la faveur des élections du 28 de ce mois, un scénario que l’Espagne n’avait pas connu en quarante ans de démocratie.
En décembre dernier, ce parti (à la tête duquel se trouve Santiago Abascal) a créé un véritable séisme politique dans une Espagne immunisée -semblait-il- contre un courant idéologique qui s’est disséminé à travers toute l’Europe. En effet, lors des dernières élections en Andalousie -région la plus peuplée du pays- Vox a obtenu 12 sièges aux élections locales.
Si l’on en croit les sondages, ce parti d’extrême droite pourrait bien faire ses débuts à la Chambre des Députés en raflant entre 20 et 40 sièges. Il pourrait même être amené à y jouer un rôle décisif s’il s’alliait au Parti Populaire (PP) et à Ciudadanos (Citoyens) -un parti de tendance libérale- et construisait ainsi une majorité de droite à la Chambre Basse.
Abascal, né à Bilbao en 1976, a été membre du PP de 1994 à 2013. Il a abandonné les « populares » (membres du PP) qu’il traite maintenant de « droitistes lâches » à la suite des nombreux scandales de corruption qui ont touché le parti et parce qu’il trouvait laxistes leur attitude envers les demandes sécessionnistes du Pays Basque et de la Catalogne.
Si Vox parvient à concrétiser les prédictions des sondages, sa présence à la Chambre des Députés -c’est-à-dire la Chambre qui accorde l’investiture au président du Gouvernement- le parti aura entre ses mains la clef pour former le futur exécutif PP-Ciudadanos, comme cela est arrivé en Andalousie, où il a passé un pacte similaire pour prendre le pouvoir au Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE).
Durant les derniers mois, cette organisation nationaliste, xénophobe, antiféministe, europhobe, et ennemie de l’immigration a réussi -par son discours- à influencer les priorités des conservateurs et des libéraux et à les pousser davantage vers la droite par peur de perdre une partie de leurs électeurs.
De l’avis de plusieurs observateurs, le succès du parti d’Abascal est un indice de la frustration des électeurs les plus radicaux du PP. Ce parti qu’ils considèrent comme la force conservatrice du pays, n’a pas réagi de manière assez vigoureuse aux demandes sécessionnistes de la Catalogne, ou à l’avortement, ou aux problèmes de centralisme national ainsi qu’à d’autres sujets d’ordre moral.
Ce n’est pas une coïncidence si, pour les prochaines élections, ce parti a recruté la candidature de généraux à la retraite défenseurs du régime franquiste et qui ont signé en juillet 2018 un manifeste prenant pour modèle celui qui gouverna l’Espagne avec une main de fer.
« Nous sommes comme Donald Trump: nous menons une guerre contre l’ordre établi, contre le politiquement correct, contre cette philosophie qui voudrait que tout soit consensuel », a déclaré au quotidien El Mundo, Rafaël Bardají, le maître-à-penser de Vox.
« Comme Trump en Amérique, nous disons « l’Espagne et les espagnols d’abord », souligne Bardají, également transfuge du PP et ancien collaborateur de l’ancien président du Gouvernement José María Aznar (1996-2004).
Abascal a déjà averti que, quelque soient les résultats des élections à venir, son parti est déjà « sorti gagnant car il a réussi à mettre sur la table tous les sujets qui étaient jusqu’à maintenant interdits ».
« À partir du 28 avril, ces thèmes seront débattus dans la Chambre des Députés. On ne pourra plus faire rentrer le génie dans sa lampe, car nous allons continuer à défendre nos points de vue. Nous n’abandonnerons aucune de nos revendications ».
D’après l’actuel chef du Gouvernement espagnol, le social-démocrate Pedro Sánchez, si les trois partis qu’il appelle « les trois bêtes noires » venaient à triompher aux élections, cela signifierait un retour à la corruption, des coupes franches dans les budgets sociaux et la confrontation entre diverses parties du territoire.
Sans citer Vox de manière explicite, le leader du PSOE s’en est pris au PP et à Ciudadanos qui, au lieu de trouver les arguments pour freiner la percée de l’extrême droite, embrasse sans rougir ses idées.
Il regrette profondément que les conservateurs et les libéraux permettent à une idéologie radicale, « qui a toujours été présente parmi nous », de se faire une place au sein des institutions.
« L’extrême droite a toujours existé dans notre pays, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du PP », a-t-il rappelé.
Pour Sánchez, ces sont les dirigeants de ces trois partis (Pablo Casado pour le PP, Albert Rivera pour Ciudadanos et Abascal pour Vox) qui sont « les trois véritables bêtes noires » qui menacent les droits et les libertés que les espagnols ont gagnés au cours de ces quarante années de démocratie.
« Le 28 avril, les électeurs devront donner une réponse à la question: » que voulez-vous choisir, l’avenir ou le passé? ». Telle est l’opinion de celui que les sondages donnent pour gagnant, même s’il était obligé de passer des accords avec d’autres forces pour gouverner.
Interrogé sur les militaires que Vox propose sur ses listes de candidats, José Luis Àbalos, le secrétaire de l’organisation Socialiste, a fait remarquer que ce choix rend évidente « toute la nostalgie que ce parti ressent envers la période franquiste ».
« Leur franquisme est un vrai franquisme, un franquisme dont ils n’ont même pas eu la pudeur de se revendiquer pendant ces quatre dernières décennies. Et maintenant que toutes ces choses tombent dans l’oubli, ils le crient haut et fort », a-t-il déclaré.
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