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Le réveil du Chili

Par Omar Sepúlveda (pour Prensa Latina) *

Santiago du Chili, 24 octobre (Prensa Latina) La macroéconomie est un succès. Les statistiques internationales font du Chili un leader de la région, mais, pour des millions de chiliens, ce leader a les pieds profondément enfoncés dans la boue.

Une boue composée d’un fumier épais fait d’inégalité, de ségrégation sociale, de corruption -une corruption qui touche jusqu’au plus haut commandement du Corps de la Police- et d’un « capitalisme sauvage » qui écrase les plus défavorisés tout en  appauvrissant la classe moyenne.

L’augmentation de 30 pesos (environ 25 centimes d’euros) pour les tickets du Métro (l’un des métros les plus chers du monde), a été d’abord remise en question  par les étudiants. C’est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et a déclenché une explosion sociale qui secoue ce pays ayant eu un fort taux de croissance durant ces dernières décennies.

Mais cette croissance ne s’est pas traduite par une amélioration des conditions de vie pour une grande partie de la population. La théorie du « ruissellement », proclamée être une panacée par le néolibéralisme implanté par le régime militaire, a favorisé l’accumulation du capital par les plus riches; et cependant, les couches sociales moyennes et les moins favorisées n’ont profité d’aucun « ruissellement » et l’inégalité atteint aujourd’hui des niveaux obscènes.

Maintenant, tous les jours, des centaines de milliers de personnes manifestent pacifiquement dans les rues des grandes villes. Ce sont des manifestations et des concentrations de citoyens qui surgissent même dans les quartiers les plus aisés de la capitale, et auxquelles participent des familles complètes, certaines accompagnées de très jeunes enfants portés sur le dos, tout un peuple qui proteste contre l’augmentation irrésistible des services de base aux mains de compagnies privatisées.

Et la même chose est vrai pour les retraités. Ils reçoivent des pensions misérables des Fonds de Gestion de Pension privés (AFP), qui, sans pudeur aucune, privatisent les bénéfices et socialisent les pertes.

À quoi il faut ajouter la collusion des trois plus grandes chaines de pharmacie qui se sont entendues pour faire payer des prix prohibitifs; sans oublier les frais d’enseignement, de transport, de logement, de nourriture.

Alors que, de l’autre côté, au lieu de la prison, d´amendes pour fraude et de la condamnation à suivre des cours de morale pour des chefs d’entreprise qui ont fraudé le fisc de milliers de millions de pesos, on accorde des remises de peine à gogo tout en mettant à la porte de leur maison de pauvres gens qui n’ont pu payer leur taxe d’habitation.

La liste des raisons de mécontentement est interminable.

Mardi soir, le président Sebastián Piñera, qui peu de jours auparavant se targuait du fait que le Chili était une oasis de stabilité dans la région, a déclaré que cette explosion était le résultat de « problèmes qui s’accumulaient depuis des dizaines d’années et dont les divers gouvernements -dont nous faisons partie- ont été incapables de voir l’importance. Je le reconnais et je demande pardon pour ce manque de lucidité ».

Il a également admis,  de manière implicite, que les plus de 900 actes de « violence grave » ne sont pas dus aux citoyens qui protestaient de manière pacifique, mais à des vandales et des délinquants qui saccagent, incendient et détruisent, ce qui justifie la décision du Gouvernement d’utiliser, pour y mettre un terme, « tous les outils que lui donne la Constitution » (c’est-à-dire, en d’autres termes: décréter l’État d’Urgence, faire occuper la rue par les militaires et imposer le couvre-feu dans de nombreuses villes du pays).

Pour la première fois depuis le retour à la démocratie, en 1990, et comme lors des années de la sanglante dictature militaire d’Augusto Pinochet, des militaires en tenue de combat ont été appelés par le gouvernement pour patrouiller les rues et pour affronter des manifestants, alors que des hélicoptères survolaient la ville et que des détonations se faisaient entendre la nuit pendant le couvre-feu.

Selon l’Institut National des Droits de l’Homme (une organisation indépendante), au

moins cinq des 18 personnes décédées durant cette crise ont perdu la vie à cause d’actes commis par des agents de l’État; les autres sont mortes pour différentes raisons durant les pillages.

Ces manifestations massives ont poussé le président Piñera à demander au Congrès d’annuler la hausse des tickets de Métro, demande accordée en une seule journée, et à proposer un Agenda Social incluant des mesures urgentes dans le domaine de la santé, ainsi que la réduction des rémunérations des parlementaires et des hauts postes de la fonction publique.

De même, ont été décidés des impôts plus élevés pour les personnes ayant les plus hauts revenus, la réduction du nombre de parlementaires, la création d’un salaire minimum garanti par l’État pour les travailleurs et des mécanismes destinés à annuler la récente hausse de 9,2 pour cent de l’électricité, entre autres mesures.

Pour certains, ces mesures sont un premier pas dans le bon sens; pour d’autres, elles sont insuffisantes; ce ne sont que de petits « comprimés » pour calmer un état d’effervescence sociale que l’on n’avait pas vu dans le pays depuis les temps de la lutte contre la dictature et qui évitent les demandes fondamentales comme, par exemple, la fin des AFP, l’éducation gratuite, et même, une nouvelle Constitution pour freiner le « capitalisme sauvage » qui règne dans le pays.

« Le Chili s’est réveillé. Il veut de grandes choses », c’est l’une des consignes imaginées par l’éclosion d’un mouvement qui, sans aucun meneur visible, a trouvé dans les réseaux sociaux un moyen efficace de lancer des convocations. Et ils sont nombreux ceux qui demandent la démission de Piñera.

peo/Ft/Os

*Journaliste chilien réputé, ancien correspondant des agences Notimex et Prensa Latina.Témoin exceptionnel du coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili.
 

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