Par Luis Manuel Arce Isaac (*)
Mexique (Prensa Latina) Santiago Abascal, président du parti d’extrême droite espagnol VOX, est arrivé au Mexique à l’invitation de ses pairs d’Acción Nacional (PAN) pour promouvoir la Charte dite de Madrid afin de « stopper l’avancée du communisme dans l’Ibérophère ».
Abascal entend rebaptiser le continent américain – y compris les États-Unis et le Canada- du fait qu’il le considère doté à part entière de racines hispaniques.
Au sujet du visiteur et de ses hôtes du PAN, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a dit le 3 septembre : « Des extrémistes sont venus d’Espagne, de VOX. Ils se sont alliés au PAN ; ce sont les mêmes ultra-conservateurs, quasi fascistes, qui germent en Espagne.
L’ANTICOMMUNISME ET LA PRÉSUMÉE IBEROSPHERE
Le PAN, adhéré à la même idéologie anticommuniste que VOX, a souscrit la lettre en décrivant l’acte comme une « alliance entre le Mexique et l’Espagne », comme si ce parti tout à fait en déclin lors des dernières élections de mi-mandat était le représentant de cette nation.
Abascal, vivant depuis des années de son anticommunisme primitif grâce à l’existence de millionnaires voire de dirigeants du PAN attachés à sa pensée, vend à ses exécutants une « structure internationale » qu’il appelle Iberosphère.
Bien qu’il lui donne d’emblée une appellation péninsulaire espagnole, polémique et rejetable même aux yeux des États-Unis, l’affirmation selon laquelle une telle chose fonctionnera « comme une authentique opposition pour la défense des libertés et de la démocratie » est absurde.
INSULTES À L’ÉGARD DU MEXIQUE ET DE L’AMÉRIQUE LATINE
Les offenses du convié du PAN contre le Mexique et l’Amérique latine sont olympiennes. Lors de la commémoration du 500e anniversaire de la chute de Tenochtitlán, celui-ci a souligné que « l’Espagne a réussi à libérer des millions de personnes du régime sanguinaire et terrifiant des Aztèques ».
Il a de plus déclaré que « ce qu’a fait Hernán Cortés n’était pas un massacre ou le pillage de ressources, mais un acte de civilisation dont les gouvernements d’Amérique latine devraient être reconnaissants ».
Néanmoins, au-delà de l’intérêt commercial de son produit « ibérophérique » et des calculs financiers, comme lorsqu’il a vendu l’idée de son parti VOX à l’ultra-droite européenne et étasunienne, Abascal se comporte tel un grossier copieur d’idées de contenu, à savoir celles qui ornent l’Organisation des États américains (OEA) déjà ratées.
LE MÊME QUE L’OAS
Quiconque lit l’acte final de la 7e réunion de consultation des ministres des affaires étrangères en Uruguay (en janvier 1962) pour appliquer le traité interaméricain d’assistance réciproque contre Cuba et l’expulser de l’OEA, se rendra compte que les idées anticommunistes de la prétendue ibérophère d’Abascal sont répétitives et manquent d’imagination.
Sa proclamation de l’actuelle « dérive communiste » en Amérique latine, sur laquelle il fonde sa proposition de créer – ni plus ni moins que depuis l’Espagne – une institution pour faire face au Forum de Sao Paulo et au Groupe de Puebla (présentés comme des exemples de communisme), n’apporte même pas quelque chose de différent des chapitres 1 et 2 de cette honteuse réunion en Uruguay contre Cuba.
On y voit bien évidemment la recherche d’argent et d’opportunisme pour profiter de la crise irréversible de l’OEA. Au cas où elle soit obligée de disparaître comme réclamé par l’écrasante majorité du pays, elle laisserait en théorie les États-Unis dépourvus de leur instrument d’excellence pour l’intervention militaire et politique en Amérique latine et dans les Caraïbes.
L’ACCEPTATION DU RETOUR EN ARRIÈRE DE LA DROITE
Cependant, une chose est sauvée de cette hallucination abascalienne : c’est l’acceptation de la tendance bien marquée dans cette partie du monde d’un retour à la mise en place de gouvernements progressistes par voie électorale.
Ceux-ci ont été momentanément interrompus par les triomphes éphémères de Mauricio Macri en Argentine, de Jair Bolsonaro au Brésil et la trahison de Lenín Moreno en Équateur.
Les pièges en Équateur pour arracher la victoire à un candidat qui n’était pas de droite, le coup d’État en Bolivie pour empêcher le maintien d’Evo Morales au gouvernement, la répression brutale au Chili et en Colombie contre les opposants de Sebastián Piñera et Iván Duque, sont des expressions de la dégradation de l’ultra-droite que cet Espagnol est venu recruter.
Le moment est compliqué car ayant une effervescence populaire contre les mauvais gouvernants. Les cas les plus notoires sont les récentes manifestations au Brésil, au Chili et en Colombie contre les plus rétrogrades de la région, y compris la clameur croissante pour la disparition de l’OEA.
La débâcle du groupe de Lima, créé par le secrétaire général de l’OEA Luis Almagro, écroulé suite à la victoire électorale de Pedro Castillo au Pérou, en est une autre preuve.
Et cela en dépit de centaines de millions de dollars investis et les tentatives de coup d’État pour remettre le pouvoir à l’ultra-droite et obsessionnelle Keiko Fujimori, et la consolidation en Bolivie du gouvernement de Luis Arce malgré toutes sortes de pressions.
A cela vient s’ajouter la résistance du Nicaragua sandiniste face à une alliance de droite furieuse pour déposer Daniel Ortega, ou le déclin de l’antichavisme, qui a accepté la table des négociations tellement refusée.
UN VIDE HISTORIQUE
La proposition apportée au Mexique par le leader de VOX de créer une autre organisation anticommuniste en Amérique s’avère une lacune historique évidente et un opportunisme politique.
Face à ces réalités, il existe d’autres plus indéniables en Amérique. Par exemple, le continent doit larguer les amarres face à un monde en mutation et bouleversé par la pandémie de Covid-19, où les politiques néolibérales d’oppression et tant d’inégalités sociales, économiques et humaines ne peuvent plus prévaloir.
Si on ne trouve pas de solutions communes et collectives, les invasions de la faim, de la misère, de la maladie et de la violence seraient incontournables ; l’exode d’aujourd’hui n’est qu’un petit avant-goût de ce que sera peut-être demain. Et cela est loin de devenir la conséquence d’une » dérive communiste « , comme Abascal voudrait nous le faire croire.
Ce qui est judicieux, ce n’est pas la mise en pratique d’instruments d’assujettissement et de répression à l’instar de l’OEA, mais de nouveaux mécanismes de respect de la souveraineté nationale. « Ce qu’on doit réussir c’est à mettre sur pied des structures de vie, et non de mort ».
jcc/arb/lma
(*) Correspondant en chef de Prensa Latina au Mexique.