L’énorme défi que cela signifiait a été relevé, à partir de rien et contre toute attente, dans le feu de la révolution cubaine, et c’est ainsi qu’est née Prensa Latina, initialement baptisée « l’agence dont on avait besoin » et sur le point de fêter 64 ans de travail ininterrompu.
Fondée le 16 juin 1959, date à laquelle elle a transmis ses premières dépêches au monde par câble, l’idée que Cuba et l’Amérique latine aient leur propre voix a été projetée bien plus tôt, en pleine guerre de guérilla.
Fidel Castro a perçu très tôt la nécessité de communiquer les objectifs de la révolution depuis les montagnes et de répondre à la désinformation des médias nord-américains, notamment des agences United Press International (UPI) et Associated Press (AP).
Selon un rapport de l’Unesco, l’UPI comptait 151 correspondants aux Etats-Unis et 110 à l’étranger, alors que l’AP en comptait 110 dans le pays et 57 à l’étranger. Ensemble, les deux disposaient de plus de 400 bureaux et de milliers de reporters, diffusant des informations dans 111 pays et en 48 langues.
Avant même le triomphe du 1er janvier 1959, ces médias et d’autres ont fait circuler des « fake news » sur la lutte des rebelles et sont allés jusqu’à publier la mort de Fidel Castro, entre autres mensonges.
Le Comandante Ernesto Che Guevara s’est attelé à cette tâche avec enthousiasme et compétence et, depuis les montagnes, a créé Radio Rebelde qui, à certains moments, atteignait d’autres pays des Caraïbes, de même que le « Club de la presse » dans le but de recevoir les visiteurs, avec lequel il arrangeait secrètement l’arrivée de certains journalistes étrangers.
Ces derniers sont montés dans la Sierra Maestra, ont interviewé les chefs rebelles et ont réfuté les versions propagées par la « grande presse » dominante.
Jorge Ricardo Masetti, l’écrivain guatémaltèque Miguel Angel Asturias, Rodolfo Wals, responsable argentin des services spéciaux des activités journalistiques de l’agence Prensa Latina.
Outre une longue interview de Fidel Castro en anglais par le journaliste du New York Times Herbert Mathews, des Latino-Américains se sont prêtés au jeu, comme l’Argentin Jorge Ricardo Masetti, racontant son expérience dans le livre « Los que luchan y los que lloran » (Ceux qui luttent et ceux qui pleurent), devenu par la suite le premier directeur de Prensa Latina.
Également fondateur de l’agence, l’Uruguayen Carlos María Gutiérrez, auteur du livre « En la Sierra Maestra y otros reportajes », a pris de grands risques sans être repéré par la dictature de Fulgencio Batista. Le journaliste équatorien Carlos Bastidas Argüello, quant à lui, a été assassiné après être descendu des collines vers La Havane.
Lorsque la révolution a triomphé, avec la fuite du dictateur Batista et la reddition de ses militaires et de ses répresseurs, les campagnes hostiles contre le jeune processus politique cubain se sont multipliées, sous l’impulsion, entre autres, de l’Association interaméricaine de la presse (AIP).
De grands journaux et magazines, tels que Life, Time, Newsweek et U.S. News and World Report, outre l’AP et l’UPI, ont participé à ces campagnes.
Au cours de la première semaine de 1959, plusieurs jeunes journalistes sont arrivés à La Havane, comme le Colombien Gabriel García Márquez et les Argentins Rodolfo Walsh et Rogelio García Lupo, entre autres, désireux de participer à la diffusion de la vérité sur Cuba.
Lors d’une visite éclair au Venezuela à cette époque, Fidel Castro a souligné l’urgence de contrer ces fausses représentations et d’autres concernant les nouveaux mouvements progressistes latino-américains.
Accompagnés d’éminents journalistes cubains, tels que Francisco V. Portela, premier correspondant de Prensa Latina aux États-Unis – plus tard harcelé et détenu par le FBI – et plusieurs autres, les Latino-Américains ont commencé à structurer la proposition.
Les 21 et 22 janvier, Fidel Castro a convoqué quelque 400 journalistes à l’opération « Vérité », connue à l’époque comme la plus grande conférence de presse au monde, et a dénoncé la campagne anti-cubaine comme « la plus infâme, la plus criminelle et la plus injuste qui ait jamais été lancée contre un peuple ».
Il a dit que « la presse américaine devrait disposer de moyens lui permettant de connaître la vérité et de ne pas être victime de mensonges ».
Considéré comme la première bataille de l’information de la révolution, l’événement a réuni, outre des dizaines de grands reporters latino-américains, des professionnels de 20 villes des États-Unis, provenant d’organes tels que le Washington Daily News, le Baltimore Sun, le Miami News et le Cincinnati Enquirer.
De même, l’University of Toronto Press, du Canada ; le Daily Mail, du Royaume-Uni ; les Jours de France, de France ; El Nacional, Novedades et Excélsior, du Mexique ; et El Mundo et El Imparcial, de Porto Rico.
Les journalistes ont pu assister aux procès publics des criminels de guerre et des répresseurs et interviewer Fidel Castro, qui a insisté sur la nécessité pour l’Amérique latine d’avoir sa propre agence et a offert son soutien personnel à l’initiative.
De nombreux journalistes qui ont alors écrit de manière objective sur la réalité cubaine ont vu leurs articles censurés dans leur pays pendant que la guerre médiatique anti-cubaine s’intensifiait.
Nonobstant, en moins de cinq mois, l’Agence d’Information d’Amérique latine, Prensa Latina S.A., a été inaugurée et le gouvernement des Etats-Unis, surpris, lui a donné à peine un mois à vivre en lançant toutes les agressions possibles contre elle.
C’est dans ce contexte que les fondateurs et les premiers correspondants, Masetti en tête, s’emploient à créer, dès la première année, quelque 18 bureaux, notamment en Amérique latine. Plus tard, à l’instar de cet exemple, d’autres médias alternatifs verront le jour dans la région.
L’histoire héroïque de Prensa Latina a connu des hauts et des bas pendant plus de six décennies, jusqu’à devenir aujourd’hui un centre multimédia reconnu et de référence internationale comptant sur près de 40 correspondants sur les cinq continents.
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