Par Marcel Garcés (pour Prensa Latina)*
Santiago du Chili, 23 octobre (Prensa Latina) Un audio privé que l’épouse du président du Chili, Cecilia Morel, a envoyé à un groupe d’amies et où elle reconnaît que ‘nous sommes totalement dépassés’, reflète un état d’esprit clairement pessimiste et presque angoissé et généralisé au plus haut niveau gouvernemental concernant la situation du pays.
Après l’explosion, le vendredi 18 octobre dernier, d’une protestation nationale contre la politique du gouvernement de droite de Sebastián Piñera, l’administration semble franchement débordée par une action populaire massive de malaise citoyen qui couvre tout le pays.
Ce mardi 22 était le cinquième jour de manifestations de masse de plus en plus nombreuses qui ont couvert la longue géographie du pays, d’Arica à Punta Arenas, avec des dizaines de milliers de personnes frappant des casseroles et d’autres éléments de cuisine, expression traditionnelle de protestation chilienne depuis la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).
L’explosion d’exaspération sociale d’une ampleur inédite dans le pays a surpris le Gouvernement au moment où il préparait une mise en scène étincelante en tant qu’hôte de deux prochains événements internationaux d’envergure mondiale : le sommet des dirigeants de l’APEC Chili 2019, en novembre, et le sommet des Nations Unies sur le Changement Climatique, COP 25, en décembre.
Il est clair que l’éclatement du malaise citoyen et le défi lancé à l’ordre public, qui a entraîné l’éclosion sociale, sont un signe d’incertitude pour un déroulement normal des deux événements, compte tenu en outre de l’opposition citoyenne au rendez-vous de l’APEC et la critique de la politique environnementale envers le gouvernement, la droite et le grand patronat .
Mais ce qu’a mis en évidence la femme du dirigeant, Cecilia Morel, qui a joué un rôle médiatique et de propagande pour le pouvoir en place, c’est un état de confusion, de désarroi et de pessimisme au plus haut niveau, dans la famille présidentielle elle-même.
Elle a dit à ses amies : « Nous sommes complètement dépassés, c’est comme une invasion extraterrestre, je ne sais pas comment on dit, et nous n’avons pas les outils pour la combattre. S’il vous plaît, restez calmes, appelez les gens de bonne volonté, profitons-en pour rationner les repas et nous allons devoir diminuer nos privilèges et partager avec les autres ».
La surprise du gouvernement face à l’explosion sociale et la réaction hâtive de décréter l’Etat d’Urgence, le premier depuis la fin de la dictature d’Augustoi Pinochet (1973-1990) et la remise du contrôle de l’ordre public (l’état d’exception constitutionnelle s’est étendu sur toute la géographie du pays) aux commandements militaires, démontre l’incompétence des équipes consultatives du gouvernement, de ses unités de renseignement et du chef d’État lui-même, qui n’ont pu prévoir ni l’état d’esprit réel des citoyens, ni l’ampleur de leur exaspération.
Naturellement, les accusations d’un complot de vandales, de criminels, de violents, ne sauraient expliquer l´importance des manifestations à Arica, Antofagasta, Valparaiso, Rancagua, Curicó, Chillán, Concepción, Temuco, Puerto Montt, Punta Arenas, et à Santiago (du Chili).
Habitué à manœuvrer, à diviser pour régner, le mandataire a conclu ce mardi 22 octobre une réunion avec les présidents des partis de gouvernement et trois partis d’opposition en préambule à la présentation d’un ‘agenda social’, baptisé du titre médiatique de Grand Accord National ; mais duquel il a exclu le Parti Socialiste, le Parti Communiste et le Front Ample.
Dans un message au pays, après le rendez-vous, Piñera a demandé pardon pour les erreurs commises, notamment concernant l’affirmation d’être en guerre contre ses opposants, puis a annoncé des initiatives qui devraient être discutées et approuvées par le Parlement.
Certains analystes locaux ont voulu voir dans sa comparution un éloignement de son arrogance habituelle, en plus de sa manipulation rhétorique, une sorte de signe ou de geste d’humilité et de reconnaissance indéniable de la défaite politique subie devant la rue mobilisée.
Mais ce qui est évident, et l’expérience le confirme, c’est qu’il faudra du temps pour confirmer si les annonces se traduiront par des faits concrets, ou si ce fut une manœuvre de diversion pour gagner du temps, réorganiser ses forces et maintenir son cap initial.
Et cela signifie que le Chili et les forces sociales qui ont montré leur potentiel politique et leur appel social, resteront en alerte, en mode protestation.
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*Auteur et journaliste éminent au Chili, directeur de Cronica Digital, ancien correspondant de Notimex